Abstract
Au dรฉbut de l’Islam, certains sunnites croyaient communรฉment que si des raisons suffisantes existaient, il รฉtait possible d’ignorer le sens apparent des versets coraniques et de leur attribuer un sens opposรฉ ;habituellement le sens qui s’opposait au sens littรฉral รฉtait appelรฉ ยซta’wilยป; et ce qui est nommรฉ ยซta’wil du Coranยป est habituellement compris en ce sens.
Dans les livres religieux des รฉrudits sunnites, de mรชme que dans les controverses enregistrรฉes entre les diffรฉrentes รฉcoles, on observe souvent que si un point de doctrine particulier, รฉtabli par consensus des Ulรฉmas d’une รฉcole ou par d’autres mรฉthodes, s’oppose au sens littรฉral d’un verset coranique, ce verset est interprรฉtรฉ selon le ยซta’wilยป, en un sens contraire ร son sens apparent. Parfois deux groupes adverses prรฉsentent deux vues opposรฉes en s’appuyant sur des versets coraniques pour justifier leur opposition. Chaque parti interprรจte les versets prรฉsentรฉs par l’autre parti ร l’aide du ยซta’wilยป. Cette mรฉthode s’est aussi plus ou moins infiltrรฉe dans le shi’isme et peut รชtre relevรฉe dans quelques travaux thรฉologiques shi’ites.
Pourtant une rรฉflexion suffisante sur les versets coranique et les hadiths de la famille du Prophรจte manifeste clairement que le Saint Coran, avec son langage plein de sรฉduction et d’รฉloquence et son expression lucide, ne recourt jamais ร des procรฉdรฉs d’exposition รฉnigmatiques mais au contraire, expose toujours n’importe quel sujet dans un langage clair.
Ce qui a รฉtรฉ correctement nommรฉ ยซta’wilยป, ou interprรฉtation hermรฉneutique du Saint Coran, ne se rapporte pas simplement ร la signification des mots. II concerne bien plutรดt certaines vรฉritรฉs qui transcendent la comprรฉhension du commun des hommes, bien que ce soient de ces vรฉritรฉs et de ces rรฉalitรฉs qu’รฉmanent les principes doctrinaux et les injonctions pratiques du Coran.
L’ensemble du Coran possรจde le sens du ยซta’wilยป, de la signification รฉsotรฉrique, qui ne peut รชtre comprise directement par la seule pensรฉe humaine. Seuls les Prophรจtes et les purs parmi les amis de Dieu, qui sont libรฉrรฉs de l’imperfection humaine, peuvent contempler ces significations tout en vivant dans la condition prรฉsente de l’existence. Au jour de la Rรฉsurrection le ยซta’wilยป du Coran sera rรฉvรฉlรฉ ร chacun.
On peut expliquer cela par le fait que ce qui oblige lโhomme ร utiliser le discours, ร crรฉer des mots et ร se servir du langage, n’est pas autre chose que ses besoins sociaux et matรฉriels. Dans sa vie sociale lโhomme est obligรฉ d’essayer de communiquer ses pensรฉes, ses intentions et ses sentiments ร ses semblables. A cette fin, il utilise les sons et l’ouie. Parfois il utilise aussi la vue et le toucher. C’est pourquoi entre le muet et l’aveugle, il ne peut jamais y avoir comprรฉhension mutuelle, car quoi que l’aveugle dise, le sourd ne peut l’entendre et quoi que le sourd exprime par des gestes, l’aveugle ne peut le voir. La crรฉation des mots et la dรฉnomination des objets ont รฉtรฉ rรฉalisรฉes surtout dans un but matรฉriel. Des expressions ont รฉtรฉ crรฉรฉes pour dรฉsigner des objets, des รฉtats et des conditions matรฉrielles accessibles aux sens, ou proches du monde sensible. Comme on peut le constater dans les cas oรน un interlocuteur est privรฉ d’un sens physique, si l’on dรฉsire lui parler de sujets qui peuvent รชtre apprรฉhendรฉs par l’intermรฉdiaire du sens manquant, on utilisera un genre d’allรฉgorie ou de similitude. Par exemple, si l’on dรฉsire dรฉcrire la lumiรจre ou la couleur ร un aveugle de naissance, ou les plaisirs sexuels ร un enfant impubรจre, on cherchera ร s’exprimer par la comparaison et l’allรฉgorie, ou par des exemples appropriรฉs.
Par consรฉquent, si nous acceptons lโhypothรจse que dans l’รฉchelle de l’existence universelle, il existe d’immenses niveaux de rรฉalitรฉs indรฉpendant du monde de la matiรจre (ce qui est effectivement le cas) et qu’ร chaque gรฉnรฉration, il ne se trouve dans lโhumanitรฉ qu’un petit nombre ร possรฉder la capacitรฉ de comprendre et d’avoir une vision de ces rรฉalitรฉs, alors les questions relatives ร ces monde supรฉrieurs ne peuvent รชtre saisies ร travers les expressions verbales et les modes de pensรฉe communs. On ne peut s’y rรฉfรฉrer que par allusion et ร travers des symboles.
Dieu dit dans son livre : ยซOui, Nous en avons fait un Coran en langue arabe! Peut รชtre comprendrez-vous! II existe auprรจs de Nous, sublime et sage, dans la Mรจre du livreยป (Coran XLIII, 34). (La raison ne peut le comprendre ni le pรฉnรฉtrer). II dit aussi: ยซEn vรฉritรฉ (le Coran) est une noble prรฉdication, (figurant) sur un prototype cรฉleste bien gardรฉ, que seuls les purifiรฉs touchentยป (Coran LVI, 77-79). Au sujet du Prophรจte et de sa famille, il dit : ยซO, gens de la famille du Prophรจte! Dieu veut seulement รฉloigner de vous toute souillure et vous purifier pleinementยป (Coran XXXIII, 33).
Comme le prouve ces versets, le Coran รฉmane de sources se situant au-delร de la comprรฉhension de l’homme ordinaire. Nul ne peut avoir une complรจte comprรฉhension du Coran, sauf ceux des serviteurs de Dieu qu’Il a choisis de purifier. Les membres de la famille du Prophรจte figurent parmi ces รชtres purs.
En un autre endroit, Dieu dit : ยซ Ils traitent au contraire de mensonges ce qu’ils ne comprennent pas et ce dont l’interprรฉtation ne leur est pas encore parvenueยป (Coran X, 39) (faisant allusion au Jour de la Rรฉsurrection quand la vรฉritรฉ des choses sera connue). II dit encore: ยซ Le jour oรน ce qu’il prรฉdit arrivera, ceux qui auront auparavant oubliรฉ le livre s’รฉcrieront : Les messagers de notre Seigneur nous avaient bien apportรฉ la vรฉritรฉยป (Coran VII, 53).