Abstract
La parfaite rรฉcitation du Coran peut รชtre modulรฉe et cette modulation a donnรฉ naissance ร tout un art connu sous le nom de tartil (psalmodie). Il importe d’รฉviter une confusion trop frรฉquente entre psalmodie et musique. Aussi avons-nous repris la question dans l’Encyclopรฉdie de musique religieuse.
Si le tajwรฎd est la rรฉalisation de la parfaite diction du texte sacrรฉ, la psalmodie en est la parure. Dans la piรฉtรฉ islamique, la psalmodie du Coran occupe, comme mode d’expression de l’รฉmotion religieuse, une place importante, tant au point de vue de l’effet qu’elle produit sur l’auditeur et sur le rรฉcitant lui mรชme, qu’en tant que tรฉmoignage sonore de la permanence d’une tradition sรฉculaire. Son origine et son but, sa canonicitรฉ, sa transmission ร travers les siรจcles, son devenir parmi les peuples musulmans, ses principales lignes mรฉlodiques et la richesse de ses arabesques soulรจvent de multiples problรจmes qui deviennent particuliรจrement complexes lorsqu’il s’agit de les poser et de tenter de les rรฉsoudre ร l’intention du lecteur non musulman et non arabophone, dรฉsireux de s’informer de cette rรฉalitรฉ.
Les auteurs musulmans d’hier et d’aujourd’hui soulignent qu’entre la psalmodie coranique et le chant profane (ghinรข’), il n’y a absolument aucun rapport. La diffรฉrence ainsi รฉtablie a de sรฉrieuses consรฉquences quant aux moyens de fixation et de transmission de cet hรฉritage essentiellement vocal. Toute intervention d’une graphie conventionnelle, tout appui instrumental sont rigoureusement prohibรฉs. On se trouve donc rรฉduit ร la seule รฉtude de la voix.
Canonicitรฉ
La licรฉitรฉ de la psalmodie coranique se rรฉfรจre aussi bien ร la rรฉvรฉlation islamique qu’ร la tradition (sunna) du Prophรจte. Le texte sacrรฉ la prescrit expressรฉment (s. LXXXIII, 4). C’est au mystรจre de ses rythmes, de sa modulation, de ses silences et de ses soupirs que fait allusion le verset 79,S.XVII.
C’est en entendant sa sลur psalmodier le Coran que le fougueux ‘Omar, deuxiรจme calife de l’Islรขm, se convertit dรจs les dรฉbuts de la prรฉdiction et devint l’un de ses plus sรปrs soutiens.
La psalmodie coranique date du vivant mรชme du Prophรจte. C’est des vieilles cantates du dรฉsert que ses cadences, aux dires des spรฉcialistes, se rapprochent. Il recommandait lui-mรชme ร ses disciples : ยซย Rรฉcitez le Coran d’aprรจs les mรฉlodies et l’intonation des Arabes (du Nejd) et non d’aprรจs celles des dรฉbauchรฉs, ni celles de ceux qui ont reรงu l’Ecritureย ยป (juifs et chrรฉtiens).
La tradition nous rapporte que lorsque le Prophรจte recevait la rรฉvรฉlation, il รฉtait sujet ร une intense รฉmotion. Aprรจs un moment de silence, il rรฉcitait les versets transmis par l’ange Gabriel, en s’efforรงant de les reproduire comme il les avait entendus. Voulait-il en hรขter le dรฉbit ? une voix intรฉrieure le rappelait aussitรดt ร l’ordre (S.LXXV, 16-20).
Les traditionnistes, si attentifs aux faits, gestes et propos du Prophรจte, nous rapportent, d’aprรจs ses compagnons immรฉdiats, qu’il avait un penchant particulier pour la psalmodie ; il disait : ยซย Dieu n’a rien permis ร son Prophรจte aussi pleinement, que la rรฉcitation modulรฉe (taghannรฎ) du Coranย ยป
Lors de la conquรชte de la Mekke (an 9 de l’hรฉgire/631), il jubilait sur sa monture et rรฉcitait la sourate intitulรฉe La victoire (XLVIII), en donnant une grande ampleur aux voyelles longues : รข devenait รข-รข-รข.
Ses disciples s’efforรงaient naturellement de l’imiter aussi parfaitement que possible en modulant le Coran Il disait ร lbn Mas’รปd : ยซย Rรฉcite-moi le Coran en le modulant. – Puis-je le psalmodier pour toi, disait l’autre, alors que c’est ร toi qu’il a รฉtรฉ rรฉvรฉlรฉ? – J’aime bien, reprenait le Prophรจte, l’entendre rรฉciter par quelqu’un d’autre que moi. ย ยป A. ‘Abรป Mรปsรข Al Ash’.arรฎ il demanda un jour : ย ยป T’es-tu aperรงu, hier, que je t’รฉcoutais psalmodier le Coran ? Vraiment, tu possรจdes une voix (aussi agrรฉable ร entendre) qu’une de ces flรปtes dont se servaient les proches de David! – Ah! Si j’avais su que tu m’รฉcoutais, rรฉpondit ‘Abรป’ Mรปsรข, ma psalmodie eรปt รฉtรฉ plus belle! ยซย
Psalmodie et graphie musicale
La psalmodie coranique, essentiellement homophonique, doit uniquement ร la mรฉmoire auditive sa transmission de gรฉnรฉration en gรฉnรฉration et d’un pays musulman ร l’autre. On tolรจre ร peine la psalmodie du Coran et la scansion des panรฉgyriques du Prophรจte par la cรฉlรจbre chanteuse รฉgyptienne Umm Kalthรปm, fille pourtant d’un rรฉcitateur apprรฉciรฉ du Coran.
Cette attitude ne rรฉsulte nullement d’une quelconque hostilitรฉ ร l’รฉgard de la femme, mais s’inspire uniquement de la pieuse intention d’รฉpargner ร l’auditeur toute pensรฉe profane qu’une voix fรฉminine captivante pourrait susciter, la psalmodie devant par son caractรจre solennel, ses modulation graves, crรฉer un รฉtat d’รขme, favoriser le repliement sur soi-mรชme et faciliter l’รฉlan du croyant vers Dieu.
Il n’y a pas de psalmodie transcrite. Les anciens ouvrages de tajwรฎd, les ouvrages de musicologie anciens et modernes ne contiennent aucune sourate transcrite. Lorsque, ces derniรจres annรฉes, le chanteur รฉgyptien bien connu ‘Abdul Wahhรขb voulut se livrer ร ce travail, il se heurta ร la violente rรฉaction de l’universitรฉ d’Al Azhar et dut, en s’excusant, renoncer ร son projet.
Quand on se penche sur l’importance du facteur religieux dans la vie musulmane, d’une part, et, d’autre part, sur l’immense production rรฉalisรฉe par les penseurs de l’Islam dans l’ordre de la science, de la philosophie, des lettres et des arts, on est quelque peu surpris de l’absence de toute graphie, de toute convention pouvant permettre de fixer et de maintenir ร travers les siรจcles la maniรจre de ย ยป psalmodier avec soin le Coran ยซย .
Cette grave constatation est valable aussi bien pour la psalmodie coranique, le chant religieux (jadd) que pour le chant profane (hazl). Il y a eu, certes, des musicologues musulmans, mais ils n’ont pu prรฉtendre ร ce titre qu’en qualitรฉ d’historiens ou de mathรฉmaticiens, car ร la lumiรจre des ouvrages qui traitent de cet art et qui nous sont parvenus, on s’aperรงoit que la musique est conรงue par les auteurs musulmans comme une branche de la philosophie et de la science. Elle est rรฉduite, en thรฉorie, ร la mรฉlodie. Ses thรฉoriciens, dont les plus reprรฉsentatifs sont Al Kindรฎ (mort en 248/862), Mas’udรฎ (mort en 346/957), Al Farabรฎ (mort en 339/951), Ibn Sinรข (Avicenne, mort en478/1085), les auteurs anonymes de l’encyclopรฉdie des ย ยป Frรจres Fidรจles ยซย (V-VI s/XI-XIIs), Sรขfรฎ-d-Dรฎn al Baghdรขdรฎ (mort en 656/1258) et leurs successeurs, depuis Ibn Khaldรปn (mort en 808/1406) jusqu’aux musicologues de l’รฉpoque contemporaine, comme Ahmed Kamel-l-l-Khoulay, en ont รฉtudiรฉ particuliรจrement le cรดtรฉ mathรฉmatique, avec une rigoureuse application des lois de la physique, une remarquable prรฉcision des rythmes, de la mรฉtrique, une division de l’octave en dix-sept intervalles, l’exposรฉ des cinq espรจces de quarte, la distinction des modes et la curieuse thรฉorie de la circulation qui par transport de chaque gamme des dix-sept degrรฉs de l’รฉchelle peut donner mille quatre cent vingt-huit combinaisons tonales. Mais ils n’ont รฉlaborรฉ aucun systรจme d’รฉcriture musicale.
Ils avaient pourtant connu et mรฉditรฉ les systรจmes de notation musicale des peuples dont ils se sont souvent inspirรฉs dans leur effort crรฉateur : Grecs, Byzantins, Persans, Armรฉniens, Indiens d’Asie, etc. Ils n’ignoraient ni Alypius, ni Pythagore, ni Platon, ni Boรจce, ni les neumes des Mozarabes d’Espagne, ni les rรจgles de notation liturgique des chrรฉtiens orthodoxes d’Orient. Ils n’ont, cependant , ni retenu et adoptรฉ un systรจme d’รฉcriture musicale รฉtrangรจre, ni inventรฉ et codifiรฉ un systรจme original.
Si de nos jours, grรขce aux travaux d’orientalistes et de musicologues occidentaux de renom qui se sont penchรฉs sur ce problรจme (d’Erlanger, Rouanet, Garra de Vaux, Riano, Kosegarten, Andrรจs, La Borde, etc.) et grรขce aussi au disque, la musique arabe profane peut-รชtre รฉtudiรฉe et partiellement transcrite ou enregistrรฉe, on ne saurait en dire autant de la musique religieuse et en particulier de la psalmodie, si on excepte les enregistrements du Coran psalmodiรฉ sur disque, dus ร l’initiative de l’Office des affaires culturelles islamiques de la Rรฉpublique arabe unie, avec le concours de savants lecteurs comme le cheikh Muhammad al Husari, le cheikh Mustapha Ismรข’รฎl, ainsi qu’ร l’initiative de certaines maisons de disques comme Cairophon qui a fait appel au cheikh Taha El Fachni, et Philips qui a mis ร profit la collaboration du cheikh Abรป-l-‘Aynayn Shuwaysha.
La tradition ayant considรฉrรฉ l’assimilation de la psalmodie au chant comme une hรฉrรฉsie, il n’est pas รฉtonnant de constater qu’on ne trouve aucune allusion ร cet art dans les traitรฉs de musique, bien que la plupart des grands chanteurs appartiennent ร des familles de lecteurs rรฉputรฉs.
Structure et transmission de la psalmodie
La psalmodie coranique est fonciรจrement monodique. Sa structure rรฉvรจle des lignes mรฉlodiques constantes et des enrichissements ou fioritures, qui varient d’un pays ร l’autre et d’une gรฉnรฉration ร l’autre. Il arrive que chez le mรชme rรฉcitant ces ornements varient d’un jour ร l’autre. Ces enrichissements ou arabesques constituent l’apport personnel.
Chaque maรฎtre (cheikh) initie ร son art sacrรฉ ses disciples, lesquels ร leur tour initient les leurs, et ce, de siรจcle en siรจcle, jusqu’ร nos jours. Mais cette transmission vocale risquait de subir les atteintes du temps, les trahisons des interprรจtes, d’autant plus que dรจs le dรฉbut de l’Islam, plusieurs รฉcoles de lecteurs du Coran se sont formรฉes, et qu’aucune de ces รฉcoles ne s’est prรฉoccupรฉe de transcrire la psalmodie du texte sacrรฉ.
Psalmodie et structure des versets
La psalmodie doit, en premier lieu, tenir compte de la valeur quantitative des รฉlรฉments plus ou moins rimรฉs que sont les versets. On peut constater ร la lumiรจre de ce qui prรฉcรจde que chacune des cent quatorze sourates qui forment la Vulgate islamique, comprend un nombre variable de versets de longueur inรฉgale, allant d’un seul mot aux plus amples pรฉriodes. Ces versets appartiennent ร une forme littรฉraire particuliรจre ร la langue arabe, le saj’, ou prose rimรฉe, qui n’est en rรฉalitรฉ ni prose ni vers, mais tient des deux et en rรฉunit les qualitรฉs.
Chaque verset contient une phrase, parfois moins, parfois davantage. Il peut ainsi se suffire ร lui-mรชme au point de vue du sens, ou dรฉpendre du verset prรฉcรฉdent ou suivant, d’oรน une disposition oรน l’assonance et la rime tiennent lieu de coupe (fรขsila). Cette fรขsila (sรฉparante, virgule) est en rรฉalitรฉ moins une cรฉsure qu’un appui rythmique qui ne coรฏncide pas toujours avec la fin de la phrase. Les syllabes ouvertes ou fermรฉes qui marquent cette assonance sont fort nombreuses. Les plus frรฉquent sont, compte tenu de la psalmodie plutรดt que des flexions : รขn, รฎn, รปn, รปm, รฎm, รขl, รขb, รขs, รขr, รฎr, รปd, hรข, etc.
Longs ou courts, amples ou concis, distants ou rapprochรฉs, les versets se prรฉsentent, dans leur enchevรชtrement, comme des quantitรฉs syllabiques dont le rรฉcitant doit observer le dรฉploiement vocal et la durรฉe variable des pauses qui en interrompent la succession.
Psalmodie et phonรฉtique
Les thรฉoriciens du tajwรฎd et les maรฎtres du tartรฎl se sont penchรฉs ensuite sur le problรจme de la formation et de l’รฉmission des sons, en accordant aux consonnes, aux voyelles, aux syllabes, ร l’accent, aux rythmes et ร la pause, ainsi qu’aux divers organes de l’appareil phonatoire (poumons, pharynx, cordes vocales assimilรฉes ร une membrane vibratoire, fosses nasales, voile du palais, luette, bouche, langue, dents, lรจvres) toute l’importance scientifique requise. Ils n’ont pas manquรฉ de conclure que la mise en jeu de ces diffรฉrents organes (expiration, articulation, vibration des cordes vocales, rรฉsonance nasale) produit le son (harf) dont la tonalitรฉ et la qualitรฉ sont en connexion avec la cavitรฉ buccale.
La psalmodie doit donc tenir compte de ces phรฉnomรจnes organiques, de l’รฉcartement des mรขchoires qui conditionne la forme et le volume de la cavitรฉ buccale, de la position de la langue dans la bouche et des cas de vibration des lรจvres. Dans cet ordre d’idรฉes la consonne (sรขmita) est assimilรฉe ร un obstacle dans l’appareil phonatoire que le souffle expiratoire doit franchir, et la voyelle (musawwita) est assimilรฉe ร un mouvement (haraka) qui met en branle la consonne et dont l’absence conduit dans l’รฉmission du son ร une quiescence (sukรปn).
L’art de psalmodier exige donc, faute de notes appropriรฉes, la dรฉtermination et le classement des points de sortie (makhรขrij) du son, c’est-ร -dire les points mรชmes oรน se forment l’obstacle ร franchir et le mouvement qui l’affecte, ainsi que la nature, le mode et l’intensitรฉ de l’articulation.
On trouvera un schรฉma de ces points d’articulation รฉtablis avec une indรฉniable autoritรฉ scientifique par as-Sakkรขkรฎ (mort en 626/1229) dans son traitรฉ bien connu Clef des Sciences, รฉd. du Caire (1317).
Rythmes
On arrive ainsi ร la notion de rythme, c’est-ร -dire au retour ร des intervalles de durรฉes comparables, d’impressions auditives analogues. A ce titre, le rythme sert thรฉoriquement de support mรฉtrique ร la psalmodie. Mais comme les versets n’ont aucun rapport quant ร la succession des quantitรฉs syllabiques et ร la mesure avec les vers, la psalmodie se rรฉduit en gรฉnรฉral ร une succession de pรฉriodes de durรฉe inรฉgale, destinรฉes ร marquer les mouvements de l’รขme vers Dieu beaucoup plus qu’ร produire un effet musical. De ce fait l’aspect modal l’emporte sur l’aspect rythmique.
Nous avons dit que la psalmodie est essentiellement monodique et diatonique : elle exclut toute succession chromatique. Si l’on devait se permettre de traduire cette rรฉalitรฉ par des termes musicaux, on pourrait ajouter que la place des tons et des demi-tons, par rapport ร la tonique, se trouve chaque fois modifiรฉe selon le point de dรฉpart adoptรฉ, d’oรน sa richesse modale extraordinaire oรน toute notion de rythme mesurable est ร exclure.
Le rythme de la psalmodie est en effet libre, il combine ร son grรฉ, tout en demeurant prรฉcis, les รฉlรฉments binaires ou ternaires : temps premiers indivisibles, pratiquement รฉgaux entre eux, se combinant librement ; temps composรฉs inรฉgaux se groupant en rythmes composรฉs, en incisives, en membres, en phrases pour aboutir ร une haute tenue, analogue ร celle du planus cantus ou chant grรฉgorien, et dont la tessiture comprend plus de deux octaves.
Affranchi de la mesure, le rythme de la psalmodie l’est รฉgalement de l’intensitรฉ du temps fort ; il apparaรฎt comme une ligne mรฉlodique ondulante, lรฉgรจre, pouvant s’adapter aisรฉment ร toutes les floraisons vocales, en une fluiditรฉ de la phrase dรฉlivrรฉe de toute entrave matรฉrielle.
L’accent
L’accent est l’insistance sur une syllabe par exagรฉration du niveau, de l’intensitรฉ, de la durรฉe ou de tous ces รฉlรฉments ร la fois, par rapport aux mรชmes รฉlรฉments des syllabes voisines.
Il y a un accent de mot et un accent de phrase, mais aucune rรจgle prรฉcise n’est formulรฉe par les auteurs de traitรฉs de tajwรฎd. C’est un phรฉnomรจne subjectif variable. Tout ce qu’on peut observer, c’est qu’en gรฉnรฉral l’insistance dans les mots porte sur la premiรจre syllabe longue ร compter de la finale, les finales longues ne recevant pas d’accent. Dans la phrase l’accent doit porter sur le mot qu’on veut mettre en relief et se traduire par une exagรฉration de la premiรจre longue ร partir de sa fin. La aussi, le facteur subjectif joue un rรดle dominant et l’accent se fait bien souvent sentir par une รฉlรฉvation du niveau dans les impรฉratifs ou les particules d’ordre ou de prohibition.
La pause (waqf)
La fin du verset n’implique pas nรฉcessairement une pause dans la psalmodie. Il y a une pause s’il n’y a pas de rapport รฉvident de sens (ma’nรข), ni d’expression (lafdh) entre un verset et le suivant.
Souvent, dans un mรชme verset, la pause est indispensable quand il y a changement d’idรฉe ou de sujet (waqf kรขfรฎ). Elle est recommandรฉe (waqf hasan) quand il convient de mettre en valeur le sens d’un mot ou d’une expression.
Mais comment se traduit dans la psalmodie cet arrรชt ? Il faut d’abord retenir que dans un verset la syllabe finale occupe une position spรฉciale : elle ne peut รชtre terminรฉe ni par une voyelle longue, ni par une consonne. Les voyelles brรจves finales s’allongent dans certains cas, mais en gรฉnรฉral tombent. C’est ainsi que le n du tanwรฎn (an, in, un) disparaรฎt et que la voyelle qui le prรฉcรฉdait tombe, si elle รฉtait u ou i mais s’allonge si elle รฉtait a.
Dans la psalmodie, le lecteur est guidรฉ par des signes conventionnels qui lui indiquent dans le texte sacrรฉ les allongements, les pauses, les liaisons et aussi les passages aprรจs la lecture desquels il doit se prosterner. Ces signes, qui sont employรฉs assez uniformรฉment ร travers tout le monde musulman, sont en gรฉnรฉral les abrรฉviations des mots qu’ils reprรฉsentent.
La psalmodie et les voix
L’intervention de tout instrument dans la psalmodie รฉtant interdite, la voix a รฉtรฉ l’objet d’un examen approfondi au point de vue des nuances. Parmi les trente variรฉtรฉs de voix que les auteurs ont pu distinguer, certaines sont incompatibles avec la psalmodie, tandis que d’autres offrent toutes les exigences qu’elle requiert. Citons parmi ces derniรจres :
1 – as-shahhy : voix pure, douce, รฉtendue ;
2 – mukhalkhal : voix รฉlevรฉe, aiguรซ avec douceur, sonore avec ampleur ;
3 – ‘ajass : voix haute, avec un lรฉger voile agrรฉable et une sonoritรฉ puissante ;
4 – nรข’im : voix de sonoritรฉ douce et pure ;
5 – karawรขny : voix qui rappelle celle de la perdix d’Arabie, nette, pure, homogรจne ;
6 – ‘aghann : voix mรฉlodieuse, douce, lรฉgรจrement nasillarde ;
7 – ratb : voix fluide, se dรฉployant sans effort ;
8 – ‘amlas : voix รฉquilibrรฉe, mais peu sonore ;
9 – mubalbal : voix lรฉgรจre, souple, rappelant le chant du rossignol ;
10 – zawรข’idi : voix trรจs ample (voix de tรชte) ;
11 – daqรฎq : voix menue, contenue, ร peine sensible.
Le rรฉcitant doit observer un certain nombre de rรจgles pour rรฉaliser une psalmodie harmonieuse :
a. istirsรขl : prolonger le son, sans laisser tomber la voix ;
b. tarkhรฎm : adoucir le son sans perdre l’intonation ;
c. tafkhรฎm : amplifier le son pour l’embellir ;
d. taqdรฎr-l-l’ anfรขs : respirer aux pauses naturelles;
e. tajrรฎd : savoir passer des sons forts aux sons faibles et inversement.
Cet exposรฉ eรปt รฉtรฉ moins aride si la psalmodie coranique pouvait รชtre transcrite en utilisant toutes les techniques musicales, pour mettre en relief ses lignes mรฉlodiques dans leur puretรฉ et dรฉcouvrir les lois de composition et les nuances d’interprรฉtation qui lui sont propres. On connaรฎt le patient et long effort dรฉployรฉ par les bรฉnรฉdictins de Solesmes pour parvenir ร la mise au point systรฉmatique du chant grรฉgorien, pour imaginer le long travail d’รฉquipe qu’il eรปt fallu fournir pour transcrire la psalmodie coranique, sans la moindre trahison.
Or, la tradition de l’Islรขm est intransigeante sur ce point. Le Coran รฉtant un texte sacrรฉ, sa psalmodie ne peut รชtre assimilรฉe au chant profane et faire l’objet, comme le chant, d’une graphie. Elle doit, pour conserver son caractรจre religieux et demeurer pleinement vivante, รชtre transmise oralement d’un cheikh ร un autre et conserver ร travers les gรฉnรฉrations sa valeur de tรฉmoignage prรฉcieux de ferveur et de nostalgie du divin, pieusement communiquรฉ d’homme ร homme par-delร les siรจcles et les contrรฉes.