Abstract
Quelle est la signification de la «joie » ? Bien qu’il soit nécessaire de formuler une définition pour chaque chose et chaque concept, nous n’avons pas besoin de présenter une définition pour ce que nous éprouvons en nous par une connaissance intuitive. En d’autres termes, quand on dit que certains concepts sont évidents, cela veut dire qu’ils s’imposent à l’esprit avec une telle force qu’il n’est besoin d’aucune autre preuve pour en connaître la vérité et la réalité.
Dans ce cas, la définition du concept est exactement conforme à ce que nous éprouvons en nous, de sorte qu’il n’est plus nécessaire d’en formuler une définition. Il y a cependant, dans chaque langue, des mots qui ont des significations proches les unes des autres, malgré les nuances et les petites différences qui peuvent exister entre eux. Ainsi, les linguistes et les spécialistes de la lexicologie insistent sur les différences sémantiques qui existent parmi des mots comme « joie », «allégresse », « gaieté », « jubilation », etc. Mais ici, sans vouloir entrer dans les détails des études lexicologiques et linguistiques, nous réunirons tous les termes malgré leurs nuances sous forme d’un seul concept que nous appellerons la « joie ».
Du point de vue psychologique et en ce qui concerne notre état d’âme en général, nous pouvons dire que nous nous trouvons souvent dans deux états différents que nous pouvons les opposer l’un à l’autre : il s’agit d’abord d’un état d’âme plaisant et agréable que nous décrivons à l’aide des mots comme « joie », «allégresse », « gaieté », « jubilation », etc. Il s’agit ensuite d’un état d’âme déplaisant et désagréable qui est celui de la tristesse, du chagrin, de l’inquiétude, de l’angoisse, de la peur, etc. Ces concepts sont-ils définissables au rang des sentiments, des émotions ou des passions ? Les psychologues étudient ces concepts dans ce domaine mental, et ils essaient de les définir par des termes et des expressions qui sont tantôt cohérents tantôt incohérents, en raison des divergences de vue qui peuvent exister entre les différentes théories psychologiques. Pourtant, nous éviterons aussi ces débats et ces détails psychologiques, car nous souhaitons parler de ce que les humains éprouvent profondément en eux pour pouvoir ensuite étudier la vision de l’Islam et du noble Coran par rapport à ces phénomènes : d’un côté la joie, la gaieté, l’allégresse et le bonheur ; et de l’autre la tristesse, le chagrin, l’inquiétude, l’angoisse, la peur, et le malheur, etc.
La joie : un désir inné et naturel de l’homme
Il n’y a pas l’ombre d’un doute que nous, les humains, nous souhaitons de manière tout à fait naturelle et par la force d’un désir qui nous est inné, nous trouver dans des états agréables, plaisants et pleins de bonheur. Si nous nous obstinons à prouver que la joie est un état d’âme plaisant et agréable pour les humains, nous serons pris au piège d’une sorte de tautologie, car la joie est d’une manière évidente un état d’âme agréable et il n’est pas besoin que nous en présentions une définition. Certes, il est possible que nous changions un peu ces concepts pour y ajouter quelque chose ou pour en enlever ; mais dans tous les cas, cette dimension d’agréabilité y existe, et c’est exactement la chose dont les humains souhaitent y trouver. Autrement dit, le concept mental et le concept concret sont conformes l’un à l’autre : l’homme doit être joyeux. Il y a bien sûr une différence entre ces deux propositions : l’homme « doit » être joyeux ou l’homme « est » joyeux. Mais c’est une question qui se pose plutôt dans le domaine de l’épistémologie pour savoir la différence qui existe entre « devoir être » et « être ». Sans vouloir entrer dans les détails de cette conception épistémologique, il nous semble qu’il vaut mieux substituer « devoir être » par « être » soit par une nécessité d’opposition soit par une nécessité d’analogie. Quoi qu’il en soit, nous sentons tous en nous un sentiment de vouloir être joyeux, ce qui nous incite à conclure que nous « devons » être joyeux. Ici, « devoir » signifie qu’il s’agit d’un état d’âme naturel et inné de l’homme pour être joyeux et heureux dans la vie. Ceci étant dit, nous pouvons conclure qu’il s’agit des concepts dont la réalité n’a pas besoin d’être prouvée ou définie sous forme de formule logique.
La joie matérielle dans le noble Coran :
Lorsque le saint Coran appelle les humains aux œuvres bonnes, à la charité, à la purification, au bien, à la justice, à la lutte contre l’oppression et l’impureté, etc., il promet souvent que le jour arrivera où les gens qui pratiquent ces vertus, auront le cœur plein de joie.
A ce propos nous pouvons évoquer les versets 8 à 11 de la sourate 76 du noble Coran qui décrivent l’ahlulbeit [famille du noble Prophète (saws)] : « Et nourrissent de nourriture, pour l’amour de Dieu, la pauvre et l’orphelin et le prisonnier, – Rien d’autres : c’est pour le visage de Dieu que nous vous nourrissons : nous ne voulons de vous ni récompense ni gratitude ; oui, nous redoutons, de notre Seigneur, un Jour renfrogné, sourcilleux. Dieu, donc, les protégera du mal de ce jour-là, et les rencontrera dans le verdoiement et la joie. »
ویُطعِمونَ الطَّعامَ على حُبِّه مِسکیناً وَ یتیماً و اسیراً اِنّمانُطعِمُکُم لِوجهِ اللّهِ لانُریدُ مِنکم جزاءً و لا شُکوراً اِنّا نَخافُمِن رَبّنا یوماً عَبوساً قَمطریراً فوَقاهُم اللّهُ شَرَّ ذلکَ الیومِ وَلَقّاهم نضرةً و سُروراً
Les membres de la famille du vénéré Prophète sont les meilleurs serviteurs de Dieu. L’Islam les présente comme les modèles pour l’humanité toute entière, car ils sont supérieurs à toutes les créatures de Dieu le Très-haut : le vénéré Messager de Dieu, Ali, Fatemeh, Hassan et Hossein _que la paix divine soit sur eux_ font l’objet de ces versets du noble Coran. Ces versets disent que Dieu les protége du mal dans l’au-delà et leur offrira le verdoiement et la joie. Quel est le but du noble Coran de donner cet exemple à propos de l’Ahlulbeit ? En effet, le saint Coran veut encourager les croyants à les prendre pour modèles pour pouvoir bénéficier de la même protection de la part du Seigneur, pour que Dieu leur donne le verdoiement et la joie dans l’au-delà. Dans plusieurs autres versets, le noble Coran évoque la vie des serviteurs dévoués du Seigneur, qui se trouvaient dans des situations dures et difficiles. Quand le saint Coran relate leur histoire, il affirme que Dieu les a gratifiés par Sa clémence pour dissiper leur chagrin, illuminer leurs yeux et remplir leurs cœurs de joie. C’est l’exemple de la mère du vénéré Moïse (as) et de la vénéré Marie (as).
A l’époque où le pharaon persécutait les Israélites en Egypte, les réduisait en esclavage et assassinait leurs fils, la mère du vénéré Moïse (as) est tombée enceinte, et l’a caché de tout le monde pour que les hommes du Pharaon ne l’apprennent pas. En effet, elle craignait que si les hommes du Pharaon l’apprennent, ils tuent son bébé. Cette inquiétude et cette angoisse sont des sentiments qu’un homme ne pourra jamais éprouver, car c’est uniquement une mère qui le ressent. Mais Dieu a ordonné à la mère de Moïse de ne rien craindre. Le verset 7 de la sourate 28 du noble Coran relate cet épisode de l’histoire du vénéré Moïse (as) : « Ne crains pas, et ne sois pas affligée : Nous te le rendrons certainement et le désignerons du nombre des Envoyés. »
اَلاّ تَخافی و لاتَحزنی اِنّا رادّوُه اِلیکِ و جاعلوهُ مِن المُرسلینَ
Ce message divin a calmé le cœur de la mère du vénéré Moïse (as). Le verset 13 de la sourate 28 nous le décrit : « Puis Nous le rendîmes à sa mère, afin que son œil se rafraîchît, et qu’elle ne s’affligeât pas. »
فَرددناهُ اِلى اُمِّه کَى تَقرَّ عینها و لاتحزن
Dans plusieurs autres versets du saint Coran, cette histoire a été relatée avec plus ou moins les mêmes concepts. Par conséquent, nous apprenons que Dieu le Très-haut a voulu gratifier la vertueuse mère du vénéré Moïse (as) afin de dissiper son chagrin et de remplir son cœur de joie. Il est donc évident que si la joie n’était pas un état d’âme agréable et positif, Dieu n’aurait pas voulu la donner à la mère du vénéré Moïse (as).
Un épisode similaire existe dans le récit de la vénérée Marie, mère du vénéré Jésus (as). La vertueuse Marie (as) est tombée enceinte sans qu’elle n’ait jamais eu de mari, et un jour le temps est arrivé pour qu’elle donne naissance à son fils, le vénéré Jésus (as). Ce jour-là, la vénérée Marie (as) se trouvait dans une situation inquiétante, car elle se sentait exposée aux dures accusations. Il est évident pour la dame qui était le symbole de la vertu dans le monde, du début jusqu’à la fin de la création, il était ô combien attristant de se voir accusée. Le noble Coran évoque cet état d’âme de la vénérée Marie (as) dans les versets qui relatent que la vertueuse Marie a souhaité qu’elle soit morte pour ne pas voir un tel déshonneur. Or, les simples croyants savent que la vie est un très précieux don du Seigneur, et qu’il faut en être reconnaissant à tous les moments. Cela nous apprend donc que la vénérée Marie (as) se trouvait dans un état de chagrin et de tristesse qui l’entraînait à souhaiter la mort. Le verset 23 de la sourate 19 du noble Coran, évoque ce souhait de la vénérée Marie (as) : « Que ne suis-je morte avant ! Et que ne suis-je un oublie qu’on oublie ! »
یا لیتنى مِتُّ قبلَ هذا و کنتُ نسیاً منسیاً
Dans les versets suivants, Dieu s’adresse à la vertueuse Marie pour la calmer et la rassurer : « Ne t’afflige pas ! Ton Seigneur, certes, a assigné de dessous toi une source. Secoue vers toi le tronc du dattier : il fera tomber sur toi des dattes fraîches bonnes à cueillir. Puis mange et bois, et te rafraîchis l’œil. » [versets 24-26, sourate 19]
Grâce à cette révélation divine, l’âme de la vénérée Marie (as) a retrouvé le calme et la sérénité. La parole de Dieu lui a éclairé les yeux et a dissipé ses inquiétudes et angoisses. Ensuite Dieu a révélé à la vénérée Marie (as) que si des hommes lui demandaient d’où venait ce bébé, elle devrait leur dire de le demander au bébé lui-même. Grâce à Dieu, le bébé a parlé dans son berceau. Le noble Coran relate ses mots dans le verset 30 de la sourate 19 : « Je suis vraiment l’esclave de Dieu. Il m’a apporté le Livre, et désigné prophète. »
اِنّى عبدُاللّهِ آتانىَ الکِتابَ و جَعَلنى نبیّاً
Les exemples coraniques de ces deux grandes dames nous montrent que Dieu le Très-haut les a gratifiées alors qu’elles se trouvaient dans un état d’angoisse et d’inquiétude profonde. Dieu a dissipé leurs craintes et chagrins, afin d’illuminer leurs yeux et de remplir leurs cœurs de joie.
La joie éternelle dans le noble Coran :
La joie est un grand bienfait de Dieu tant dans ce bas monde que dans l’au-delà. Quand Dieu le Très-haut promet aux fidèles un bon destin dans la vie éternelle, Il leur dit que leurs yeux seront éclairés. A ce propos, le verset 17 de la sourate 32 du noble Coran dit : « Pourtant, nul ne sait ce qui leur est réservé de fraîcheur des yeux. »
فَلا تَعلَمُ نفسٌ ما اُخفِىَ لَهُم مِن قُرّةِ اَعیُن
Cette promesse est faite aux croyants qui se prosternent à l’aube devant leur Seigneur, d’après le verset 16 de la sourate 32 : « Leurs flancs s’arrachent à leurs lits pour invoquer leur Seigneur. »
تَتجافَا جُنوبُهم عَنِ المَضاجِع
Nous pouvons donner plusieurs autres exemples de cette joie dans le noble Coran. Dans le verset 24 de la sourate 83 du noble Coran, il est dit : « Tu reconnaîtras dans leurs visages, le verdoiement du délice. »
تَعرِفُ فی وُجوهِهم نَضرةَ النَعیمِ
Dans le verset 22 de la sourate 75 du saint Coran, nous pouvons lire : «Ce jour-là, il y aura des visages verdoyants. »
وُجوهٌ یومئذ ناضرةٌ
Par contre le verset 24 de la sourate 75 parle des visages tristes et ternis des pécheurs dans l’au-delà : « Et ce jour-là, des visages rembrunis. »
وُجوهٌ یومئذ باسرة
Avec ces exemples coraniques, nous apprenons donc que la joie et la fraîcheur font partie des promesses que Dieu fait aux fidèles dans l’au-delà. En ce qui concerne la vie dans ce bas monde, Dieu gratifie ses serviteurs en dissipant leurs tristesses et chagrins, en éclairant leurs yeux.
Dans le verset 30 de la sourate 41 du noble Coran, il est dit qu’au moment où les croyants passent de vie à trépas, Dieu envoie les anges pour leur apporter la bonne nouvelle : « N’ayez pas peur, et ne soyez pas affligés ; mais ayez bonne nouvelle du Paradis qui vous a été promis. »
اَلاّ تَخافُوا و لاتَحزنُوا و اَبشِروا بِالجِنّةِ الّتی کُنتم تُوعدونَ
Alors les anges descendent du ciel pour dire aux fidèles qu’il n’y aurait pour eux ni peur, ni angoisse. Ces leçons coraniques nous apprennent alors que pendant toute son existence, l’homme mérite d’être joyeux et heureux, car la joie est un grand bienfait du Seigneur.
La relativité de la valeur de la joie et de la tristesse :
D’après ce que nous venons de dire ci-dessus, d’après le noble Coran, la joie est un concept positif conforme à la nature innée de l’être humain. Mais dans le Livre saint, nous trouvons également des versets dont le contenu semble contredire ce principe. Alors la question qui se pose est de savoir s’il est possible pour l’être humain d’être joyeux à tous les moments de son existence. Si cela est possible, quel en est le prix à payer ? Faut-il être joyeux à tout prix ? Existe-il une limite pour la joie ? Est-il souhaitable pour l’homme d’être joyeux à tout prix et par tous les moyens ?
Faute du temps, il nous est impossible il d’entrer dans tous les détails de ces questions multiples, cependant, nous pouvons dire qu’en général, il est difficile pour nous de porter une évaluation absolue sur les différents aspects de l’existence et de la vie de l’être humain. Imaginons par exemple que l’homme ne connaîtrait jamais dans la vie la signification de la douleur. Est-ce que cela aurait été bien pour lui ? Non, car n’ayant aucune notion de la douleur, il n’aurait pas compris qu’il avait été tombé malade, et il n’aurait pas su qu’il lui fallait se faire soigner, ce qui entraînerait finalement sa mort à cause d’une maladie dont les symptômes n’avaient pas apparus. Ceci étant dit, l’utilité du sentiment de la douleur est de prévenir l’homme d’une perturbation qui s’est produite dans le fonctionnement de son corps, pour qu’il pense à la guérison et aux soins. La même situation existe dans le domaine des affaires liées à la vie psychique sociale ou morale des êtres humains. Les gens qui sont égoïstes, orgueilleux ou égocentriques ne connaissent pas leurs propres maux, et ils deviennent pratiquement incapables de comprendre ceux des autres. Par conséquent, ils ne peuvent pas les aider. Ceci étant dit, bien que la douleur ne soit pas une chose agréable en soi, mais son existence est un avantage pendant notre vie dans ce bas monde.
Mais cette situation sera complètement bouleversée dans l’au-delà. En effet, pendant la vie éternelle dans l’au-delà, les habitants du Paradis céleste n’éprouveront aucun mal et ne sentiront aucune douleur. A ce propos, le verset 48 de la sourate 15 du noble Coran dit : « Nulle fatigue ne les atteindra. Et on ne les en fera pas sortir.»
لاَ یَمسُّهم فیها نَصَبٌ و ما هم مِنها بِمُخرَجین
Pendant leur vie éternelle, les humains n’éprouveront aucune fatigue. Les habitants du paradis ne connaîtront plus jamais le sentiment de la faim. Ils mangeront et ils boiront pourtant uniquement pour en prendre plaisir.
Mais pour les humains qui vivent dans ce monde, la situation est tout à fait différente. S’ils sont sages, ils apprennent que le confort n’existe pas sans souffrance, et le plaisir n’existe pas sans douleur.
C’est donc évident qu’il existe dans le corps de l’homme mais aussi dans sa structure mentale des réalités indéniables qui permettent à l’homme de rire mais aussi de pleurer. Si l’homme est naturellement capable de rire, il est également capable, tout naturellement, de pleurer. En effet, il y a des moments où l’homme doit pleurer. Celui qui n’arrive pas à pleurer, mettra sa santé physique et psychique en péril. En d’autres termes, les rires et les pleurs sont des facultés propres à l’être humain. De même, le confort et la douleur sont l’un comme l’autre propre à l’homme et à sa vie dans ce monde. Il est donc normal que l’homme connaisse la souffrance et la douleur. Il est vrai que les rires sont nécessaires pour lui et qu’ils sont bien pour sa santé physique et psychique, mais cela ne signifie pas que l’homme ne doit pas pleurer ou souffrir. Comme nous venons de le dire, une personne qui n’arrive pas à pleurer souffre en réalité d’une imperfection dans ses caractères humains. Il existe donc des limites tant pour rire que pour pleurer; car ni l’un ni l’autre ne sont pas absolu. Si nous insistons sur la nécessité de la joie et de l’allégresse, et si les psychologues et les psychiatres insistent sur l’importance d’une vie pleine de joie, cela ne signifie aucunement que la joie ait une valeur absolue dans la vie humaine. En effet, les psychologues et les psychiatres expriment ici leur point de vue professionnel, car ils ont souvent affaire aux personnes qui souffrent des maladies psychiques et des déséquilibres émotifs. C’est donc normal qu’ils leur conseillent de mener une vie calme et joyeuse et de rire autant qu’ils peuvent, car le rire est le remède de beaucoup de leurs maux. Mais est-ce que ce conseil sera également valable pour des hommes qui ne sont ni déprimés ni malades, et qui se trouvent en parfaite santé physique et psychiques ? Devront-ils vivre dans une insouciance totale ? Ne doivent-ils éprouver aucun inquiétude, angoisse, tristesse ou chagrin ? C’est une question très importante, car comme nous venons de le dire, la joie et la tristesse ne sont pas des valeurs absolues. La colère et la fureur sont souvent considérées comme des états d’âme désagréables, ayant des effets et des conséquences indésirables sur les hommes. En effet, la personne qui se met en colère, souffrira des perturbations physiques et psychiques et morales, ce qui créera de véritables dégâts et problèmes non seulement pour lui mais aussi pour la société. Il faut admettre pourtant que l’homme qui soit privé de la colère serait un être imparfait. Il serait un homme indifférent et insouciant qui restera tiède devant tout ce qui pourrait lui arriver : il se résignerait à ce que l’on viole ses droits. De même, il restera indifférent face aux atteintes contre son honneur, sa famille, sa patrie, sa religion, sa foi, ses intérêts matériels, sa vie et sa culture. Un homme pareil pourra-t-il être considéré comme un homme « parfait » ? Bien que la patience soit présentée comme une vertu désirable, il faut souligner que l’homme doit être capable aussi de pouvoir se mettre en colère, lorsque cela est nécessaire. Dans un hadith il est dit : « Celui dont le visage n’exprime pas d’indignation devant la pratique du péché, verra son visage embrunir dans le feu de l’enfer. » Voir les autres personnes pratiquer les péchés et les blâmables et les rencontrer avec le sourire, cela signifierait l’encouragement du péché et du blâmable. Est-ce souhaitable en tant que modèle humain ? Il est possible que les psychologues disent qu’une telle personne ne souffre pas de maladie ou de trouble mental particulier, mais en réalité, cet homme n’est pas en bonne santé du point de vue moral.
En Irak, en Palestine, ou en Afghanistan, des dizaines de personnes innocentes perdent leur vie. Celui qui reste tiède face à tous ces tristes événements et qui n’en éprouve aucune colère, ou qui n’en ressent aucun chagrin, ne peut pas être considéré comme un homme modèle. Par conséquent, nous pouvons déduire que l’être humain doit pouvoir se mettre en colère là où il faut. Pour répondre à la question sur la valeur absolue de la joie, nous devons dire que tant que nous vivons dans ce monde, rien n’est absolu et que toutes les valeurs sont relatives. La seule valeur absolue qui existe dans ce monde est celle du véritable perfectionnement de l’homme à la lumière de la soumission à la volonté de Dieu le Très-haut. C’est la seule valeur qui soit absolue dans ce bas monde, car plus l’homme se soumet à Dieu, plus il acquiert de valeur.
La question suivante se pose sur les moyens permettant d’acquérir de la joie. Est-ce qu’il est souhaitable que l’homme acquière la joie par tous les moyens possibles dont la drogue ou l’alcool, au prix de l’oubli de toutes les valeurs et les devoirs humains ? Autrement dit, l’homme est-il permis d’acquérir la joie par tous les moyens ? Personne ne dit que l’homme est autorisé à passer toute sa vie en consommant l’alcool ou la drogue pour rester gai et joyeux. Mais il y a certains gens qui pensent qu’il serait admit de les consommer de temps en temps pour passer une période de crise ou de dépression. Par conséquent, la joie est bonne et désirable lorsqu’elle est acquise par des voies licites et correctes. Mais quelles sont les voies licites et correctes à travers lesquelles l’homme pourrait acquérir la joie ? Et quels en sont les critères ? Il est évident que la consommation de la drogue n’est pas une voie juste et saine. Alors quelles sont les limites et les lois qui existent pour l’acquisition légitime et licite de la joie ?
Pour répondre à ces questions, nous pouvons rappeler que dans ce monde, tous les phénomènes sont en paradoxe et contradiction les uns avec les autres. Dans ce contexte, il faut que nous comparions les faits et les choses en contradiction pour évaluer leur valeur et leur permanence. En effet, la durée et la permanence de la joie sont un critère important et non négligeable de sa valeur. Plus la joie dure, plus elle est noble. Il existe pourtant des joies profondes et immenses qui ne durent peut-être qu’un court instant, mais qui ont une très grande valeur. C’est le cas par exemple de la joie d’un amoureux qui rencontre sa bien-aimée après de longues années de séparation. Bien que la rencontre ne dure que quelques instants, elle a une valeur inestimable aux yeux de l’amant. C’est une courte joie qui peut égaler toutes les joies du monde. Il existe donc des critères pour évaluer la force ou la faiblesse des joies. Si nous respectons ces critères, nous n’accepterons jamais que l’on puisse passer sa vie à la consommation de l’alcool ou de la drogue. Que nous soyons musulmans ou non musulmans, nous affirmerons tous que ces fausses joies passagères n’auront d’autres résultats que la maladie, la dépression, l’isolement et la faiblesse. Les gens qui abusent de l’alcool ou de la drogue détruisent leur cerveau et se mettent en proie à des maladies psychiques. Ce sont de fausses joies passagères qui ne durent qu’une minute ou une heure. Mais très vites elles se transforment en maladie, faiblesse et malheur jusqu’à la fin de la vie. Ce sont les courts moments de joie qui sont suivis par de longues douleurs et souffrances. C’est tout à fait contraire à la raison. Les gens qui sont raisonnables et sages le comprennent très vite et ils savent qu’il ne faut pas se mettre en péril pour des fausses joies éphémères.
Dans toutes les religions monothéistes, la priorité est donnée à la joie et au bonheur éternels et infinis par rapport aux joies et aux plaisirs passagers de ce bas monde, mêmes si elles durent 70 ou 80 ans. Le raisonnement logique nous fait comprendre qu’une joie passagère qui ne dure qu’un bref instant n’est pas du tout comparable avec un jour, une semaine ou un an de souffrance qu’elle peut entraîner. De même, une joie passagère qui peut même durer la vie d’un homme pendant 70 ou 80 ans, n’est pas du tout comparable avec la souffrance et les douleurs interminables dans la vie éternelle dans l’au-delà. Même si nous passons toute notre vie terrestre en joie et bonheur, nous ne pouvons pas le comparer avec notre sort heureux ou malheureux dans l’au-delà pendant la vie éternelle. La raison nous dit que cette joie passagère n’est pas désirable et n’a pas de véritable valeur. Par contre, nous pouvons imaginer qu’un individu passe toute sa vie en douleur et souffrance, mais qui acquiert le bonheur et la joie éternels dans la vie de l’au-delà. Comme nous venons de le dire, il faut donc essayer de comparer la valeur relative de toutes les choses qui sont en contradiction dans la vie, ainsi que les joies et les tristesses.
Les joies blâmées dans le noble Coran :
Dans certains versets du noble Coran, Dieu le Très-haut a blâmé la joie. Quelle en est la raison ? Pour mieux comprendre cette vision coranique, il faut en donner des exemples concrets : Qaroun (Coré) qui était un homme très riche a montré ses richesses, ses parures et ses trésors aux gens. Le noble Coran relate dans le verset 76 de la sourate 28 que les gens lui ont dit : « N’exulte pas : Dieu vraiment n’aime pas les exultants. »
لاَ تَفرَحْ اِنَّ اللّهَ لا یُحِبُ الفَرِحینَ
Quelle en est la raison ? Est-ce que la joie est mauvaise et blâmable en soi ? Dans d’autres versets, le noble Coran décrit les gens qui sont tristes et chagrinés au jour de la résurrection. C’est le cas par exemple du verset 13 de la sourate 84 : « Oui, il se réjouissait dans sa famille. »
اِنَّه کانَ فی اَهلِهِ مسروراً
C’est le cas des gens qui se réjouissaient des joies de la vie familiale. Mais d’après le saint Coran, la vraie joie est autre chose. C’est ce qui est décrit dans le verset 9 de la sourate 84 : « Oui, il retournera chez lui, réjoui. »
یَنقَلبُ اِلى اهلِه مسروراً
Quelle est la raison de la précarité de ces joies ? En se référant à ces versets coraniques, certains prétendent que la religion musulmane s’oppose à la joie, en préconisant que dans ce monde l’homme doit vivre dans la tristesse et la dépression, afin qu’il trouve la joie et la gaieté dans l’au-delà. Mais ce n’est qu’un mensonge, car l’Islam ne l’a jamais conseillé aux fidèles. L’Islam n’a jamais appris aux croyants qu’ils doivent être tristes dans ce monde pour connaître la joie dans l’autre monde. Mais les enseignements de l’Islam insistent sur le fait que la joie dans ce monde doit être acquise par des moyens licites et légitimes. Dans ce cas, la joie est une valeur tant dans ce monde que dans l’au-delà. Cette joie n’est pas blâmable et elle est considérée comme un bienfait du Seigneur. Dieu le Très-haut dit qu’Il donne cette joie aux fidèles pour éclairer leurs yeux et pour les libérer des tristesses et des chagrins. Le saint Coran nous dit qu’au jour de la résurrection, il sera dit aux certains gens qu’ils devraient entrer dans l’enfer et y demeurer éternellement. Le verset 75 de la sourate 40 du noble Coran décrit la raison de leur châtiment éternel à l’enfer : « Voilà pour ce dont vous exultiez sans droit, sur terre, ainsi que pour l’insolence que vous aviez. »
ذلکم بِما کُنتم تَفرحونَ فِى الارضِ بِغیرِ الحقِّ و بِما کنتم تَمرحونَ
Ce verset coranique nous apprend donc que les joies acquises sur la terre par des moyens illicites et prohibées tels que l’alcool et la drogue peuvent conduire les hommes dans l’enfer.
Il y a enfin des joies que nous pouvons qualifier d’« enfantines ». C’est le cas par exemple de la joie d’un enfant qui s’amuse avec ses jouets. Mais est-ce que c’est souhaitable que l’homme se limite toujours à ces joies enfantines jusqu’à la fin de sa vie, pour s’y réjouir comme un enfant de cinq ans qui se réjouit en s’amusant avec ses jouets ? Doit-il passer les meilleures années de sa vie, c’est-à-dire sa jeunesse en s’amusant avec des jouets enfantins ? L’Islam nous apprend que l’homme peut trouver la meilleure joie dans le « rapprochement » au Seigneur, en se soumettant à Dieu et en rendant service à ses semblables. C’est la joie qui est considérée pleine de vertu tant dans ce monde que dans l’au-delà. Ce type de joie pendant la vie terrestre ne serait aucunement préjudiciable pour la joie éternelle dans l’au-delà ; car c’est une joie raisonnable qui ne porte aucunement atteinte aux droits des autres, et elle n’est pas acquise au prix de bafouage des droits des autres. Pour acquérir cette joie profonde, l’homme doit consacrer son temps et son énergie pour atteindre sa perfection, il doit se purifier et il doit rendre service à la communauté des croyants. Par contre, l’Islam blâme les plaisirs qui produisent chez l’homme un sentiment d’insouciance et de l’oubli. Dans la vision islamique, la meilleure joie est celle qui est conforme aux règles de la raison et de la religion, la joie qui assure la santé physique et psychique de l’homme et qui le met au service de Dieu et de la communauté des croyants. Ces joies sont autorisées par l’Islam et elles ne sont aucunement préjudiciables au salut éternel de l’homme dans l’autre monde. Que Dieu nous offre de la joie dans ce monde et dans l’au-delà.