Abstract
Sourate (72)ย : Al Djinn
A- La Sourate
1. Disย : โนIl m’a รฉtรฉ rรฉvรฉlรฉ qu’un groupe de djinns prรชtรจrent l’oreille, puis dirent: โนNous avons certes entendu une Lecture [le Coran] merveilleuse,
2.ย qui guide vers la droiture. Nous y avons cru, et nous n’associerons jamais personne ร notre Seigneur.
3. En vรฉritรฉ notre Seigneur – que Sa grandeur soit exaltรฉe – ne S’est donnรฉ ni compagne, ni enfant!
4. Notre insensรฉ [Iblis] disait des extravagances contre Allah.
5. Et nous pensions que ni les humains ni les djinns ne sauraient jamais profรฉrer de mensonge contre Allah.
6. Or, il y avait parmi les humains, des mรขles qui cherchaient protection auprรจs des mรขles paris les djinns mais cela ne fรฎt qu’accroรฎtre leur dรฉtresse.
7. Et ils avaient pensรฉ comme vous avez pensรฉ qu’Allah ne ressusciterait jamais personne.
8. Nous avions frรฒlรฉ le ciel et Nous l’avions trouvรฉ plein d’une forte garde et de bolides.
9. Nous y prenions place pour รฉcouter. Mais quiconque prรชte l’oreille maintenant, trouve contre lui un bolide aux aguets.
10. Nous ne savons pas si on veut du mal aux habitants de la terre ou si leur Seigneur veut les mettre sur le droit chemin.
11. Il y a parmi nous des vertueux et [d’autre] qui le sont moins: nous รฉtions divisรฉs en diffรฉrentes sectes.
12.ย Nous pensions bien que nous ne saurions jamais rรฉduire Allah ร l’impuissance sur la terre et que nous ne saurions jamais le rรฉduire ร l’impuissance en nous enfuyant.
13. Et lorsque nous avons entendu le guide [le Coran], nous y avons cru, et quiconque croit en son Seigneur ne craint alors ni diminution de rรฉcompense ni oppression.
14. Il y a parmi nous les Musulmans, et il y en a les injustes [qui ont dรฉviรฉ]. Et ceux qui se sont convertis ร l’Islam sont ceux qui ont cherchรฉ la droiture.
15. Et quant aux injustes, ils formeront le combustible de l’Enfer.
16. Et s’ils se maintenaient dans la bonne direction, Nous les aurions abreuvรฉs, certes d’une eau abondante,
17. afin de les y รฉprouver. Et quiconque se dรฉtourne du rappel de son Seigneur, Il l’achemine vers un chรขtiment sans cesse croissant.
18. Les mosquรฉes sont consacrรฉes ร Allah: n’invoquez donc personne avec Allah.
19.ย Et quand le serviteur d’Allah s’est mis debout pour L’invoquer, ils faillirent se ruer en masse sur lui..
20. Dis: โนJe n’invoque que mon Seigneur et ne Lui associe personneโบ.
21. Dis: โนJe ne possรจde aucun moyen pour vous faire du mal, ni pour vous mettre sur le chemin droitโบ.
22.ย Dis: โนVraiment, personne ne saura me protรฉger contre Allah; et jamais je ne trouverai de refuge en dehors de Lui.
23. [Je ne puis que transmettre] une communication et des messages [รฉmanant] d’Allah. Et quiconque dรฉsobรฉit ร Allah et ร son Messager aura le feu de l’Enfer pour y demeurer รฉternellement.
24. Puis, quand ils verront ce dont on les menaรงait, ils sauront lesquels ont les secours les plus faibles et [lesquels] sont les moins nombreux.
25.ย Dis: โนJe ne sais pas si ce dont vous รชtes menacรฉs est proche, ou bien, si mon Seigneur va lui assigner un dรฉlai.
26.ย [C’est Lui] qui connaรฎt le mystรจre. Il ne dรฉvoile Son mystรจre ร personne,
27. sauf ร celui qu’Il agrรฉe comme Messager et qu’Il fait prรฉcรฉder et suivre de gardiens vigilants,
28. afin qu’Il sache s’ils ont bien transmis les messages de leur Seigneur. Il cerne (de Son savoir) ce qui est avec eux, et dรฉnombre exactement toute choseโบ.
ย Cette sourate traite, comme son titre l’indique, d’un genre de crรฉatures invisibles ร nos sens, les djinns. Tout en nous informant qu’il y a parmi les djinns, comme chez les humains, des croyants et des incroyants, elle raconte surtout l’histoire d’un groupe de ces รชtres invisibles, qui ont cru ร notre Prophรจte Mohammad (P), au Noble Coran et ร la Rรฉsurrection.
Les versets 1-19 sur les 28 que comprend la sourate nous apprennent beaucoup de choses sur le monde des djinns et rectifient maintes croyances les concernant. La partie suivante de cette sourate fait rรฉfรฉrence au monothรฉisme et ร la rรฉsurrection. La derniรจre partie traite du Mystรจre dont on ne connaรฎt que ce qu’Allah le permet.
Les circonstances de la Rรฉvรฉlation
On peut rรฉsumer les circonstances de la rรฉvรฉlation de la Sourate al Djinn (vraisemblablement identiques ร celle de la Sourate 46,ย Al-Ahqรขf) comme suitย :
1-Venant de la Mecque, le Prophรจte Mohammad (P) s’รฉtait rendu ร Souq Akkadh ร Taรซf pour appeler les gens ร l’Islam. S’รฉtant butรฉ au refus de ses interlocuteurs de rรฉpondre ร son appel, il passa, lors de son voyage de retour, une nuit dans une vallรฉe dรฉnommรฉe ยซย La Vallรฉe des Djinnsย ยป en lisant le Coran. Lร un groupe de djinns aprรจs avoir รฉcoutรฉ sa rรฉcitation, et cru en sa Prophรฉtie se mirent ร inviter les leurs ร faire de mรชme.
2- Selon ยซย Sahรฎhย al-Bokhรขrรฎย ยป et ยซย Sahรฎhย Muslimย ยป citant Ibn โAbbasย : alors que le Prophรจte (P) rรฉcitait le Coran pendant la Priรจre de l’Aube, des Djinn, qui recherchaient la cause de l’interruption des nouvelles venant du Ciel, l’ont รฉcoutรฉ et se sont ditย : ยซVoilร ce qui s’est interposรฉ entre nous et les nouvelles du Cielยป. Aprรจs quoi, ils retournรจrent vers les leurs pour leur communiquer ce qu’ils venaient d’entendre.
3- Aprรจs le dรฉcรจs de son oncle et protecteur, Abรป Tรขlib, la situation du Prophรจte รฉtait devenue trรจs critique ร la Mecque. Il s’รฉtait rรฉsolu donc ร partir pour Tรขรซf dans l’espoir d’y trouver des partisans. Mais, les habitants de cette ville qui se sont montrรฉs trรจs hostiles ร son Message, l’ont traitรฉ de menteur, persรฉcutรฉ et bombardรฉ de pierres avec un tel acharnement que ses pieds se mirent ร saigner. Aussi s’est-il rรฉfugiรฉ dans un hameau, pour se remettre de sa fatigue et se reposer. Lร , le serviteur du propriรฉtaire de ce lieudit, l’ayant vu, s’est converti ร sa religion. En retournant la nuit vers la Mecque, le Prophรจte (P) s’est arrรชtรฉ ร Nakhlah pour accomplir la Priรจre de l’Aube. Quelques djinns originaires de Naรงรฎbayn ou du Yรฉmen, qui passaient par lร l’entendirent rรฉciter sa Priรจre et crurent en son Message.[1]
B- Le Rรฉcit
Les hรฉros ou les personnages constituent un รฉlรฉment vital dans une oeuvre romanesque. Ils fournissent ร celle-ci le mouvement qui tient le lecteur en haleine, รฉtant donnรฉ que toute pรฉripรฉtie et toute situation sont obligatoirement liรฉes aux personnages.
L’intรฉrรชt et la vivacitรฉ du rรฉcit augmentent lorsqu’il y a diversitรฉ de hรฉros – surtout si cette diversitรฉ comprend des hรฉros d’une race ou d’un genre inhabituellement diffรฉrent, tels que les anges, les djinns ou les oiseaux par exemple.
Dans d’autres rรฉcits coraniques, les ยซย angesย ยป par exemple, partagent avec les humains les rรดles du rรฉcit. De mรชme les djinns et les oiseaux jouent aux cรดtรฉs des personnages humains des rรดles dans les rรฉcits de ยซย Suleymanย ยป (Salomon).
Dans le prรฉsent rรฉcit, les djinns sont des hรฉros ร part entiรจre et jouent un rรดle spรฉcifique fait ร leur mesure et indรฉpendamment de tous autres hรฉros de race diffรฉrents.
La vitalitรฉ de tels hรฉros ne tient pas au simple fait qu’ils reprรฉsentent un รฉlรฉment invisible par exemple, ou un รฉlรฉment d’รฉtrangetรฉ, mais rรฉside en ceci qu’ils partagent avec les humains la mรชme nature de prรฉoccupations, d’ambitions et de mouvement dans l’existence en gรฉnรฉral.
Lorsque le rรฉcit coranique nous prรฉsente des vรฉritรฉs et des hรฉros non humains, il ne cherche pas ร nous distraire ou ร nous amuser, mais vise par ce procรฉdรฉ ร nous sensibiliser, nous les humains, ร la vรฉritรฉ de notre fonction d’adoration d’Allah sur la terre, ร nous faire profiter des expรฉriences des autres, seraient-ils d’un genre non humain, pour corriger et rรฉformer notre conduite.
Les djinns sont des crรฉatures invisibles qui ont leur milieu particulier que le Ciel leur a adaptรฉ. De mรชme, tout comme les humains et toutes les autres crรฉatures, ils n’ont pas รฉtรฉ crรฉรฉs par pure gratuitรฉ, mais pour accomplir des tรขches dรฉterminรฉes.
En tout รฉtat de cause le rรฉcit dont nous traitons ici vise ร nous prรฉsenter certaines vรฉritรฉs relatives aux djinns et la relation de ceux-ci avec les รชtres humains dans la mesure oรน les deux genres ont pour point commun l’accomplissement de la tรขche d’adoration, chacun dans son milieu propreย : les djinns dans leur milieu particulier et les hommes sur la terre. Il a pour but, surtout de nous faire tirer la leรงon de l’expรฉrience des hรฉros non humains, pour que nous puissions mieux nous acquitter du devoir d’adoration pour l’accomplissement duquel nous avons รฉtรฉ crรฉรฉs.
Quelle est donc cette expรฉrience que les hรฉros djinns veulent bien nous prรฉsenterย ?
La rรฉponse se dรฉgage facilement du rรฉcit. Il s’agit de la foi des djinns en le Message de l’Islam. Certes, on pourrait croire de prime abord que l’Islam est un message adressรฉ exclusivement aux รชtres humains puisque ses protagonistes sont d’une part la personne envoyรฉe, ยซย Le Messager (P)ย ยป et d’autre part, les destinataires du Message: l’humanitรฉ. Mais cette croyance s’estompe lorsque le rรฉcit nous raconte l’histoire de hรฉros extraterrestres faits d’une substance ignรฉe spรฉcifique (invisible) qui ont un langage propre incomprรฉhensible pour les รชtres humains ordinaires, un milieu extraterrestre. Pourtant ils traitent avec le Message du Coran.
L’expรฉrience vรฉcue par ces personnages pas comme les autres, est exposรฉe de la faรงon suivante par le rรฉcitย :
ยซUn groupe de Djinns รฉcoutaient.ยปIls ont ditย : ยซย Nous avons entendu un Coran merveilleuxยป[2].
ย Il ne faut pas passer rapidement sur ce dรฉbut du rรฉcit, apparemment sans grand intรฉrรชt. On doit s’y arrรชter longuement, car il s’agit d’un rรฉcit qui expose les faits selon un procรฉdรฉ littรฉraire bien particulier, ce qui permet de penser que son dรฉbut prรฉsentรฉ de cette faรงon particuliรจre et non autrement recรจle une signification dรฉterminรฉe. Mais avant de dรฉvelopper ce sujet, nous devons savoir que ce rรฉcit est รฉlaborรฉ selon une structure architecturale spรฉcifique.
Il est notoire dans la littรฉrature romanesque que la prรฉsentation des faits se fait selon des procรฉdรฉs diversย : narration, relation et dialogue, seulement dialogue; celui-ci peut รชtre un vrai dialogue (entre les parties ou plus) ou un monologue et un monologue intรฉrieur, ou mรชme un monologue collectif ambigu etc.
Dans ce rรฉcit, c’est le dialogue qui constitue les fils tissu de la trame. C’est un dialogue qui n’est pas suivi de commentaire, mais un dialogue linรฉaire collectif et รฉquivoque oรน les hรฉros djinn parlent ร eux-mรชmes, oรน avec les leurs, comme nous le rรฉvรจle le dรฉbut du rรฉcit, lorsqu’il nous a transmis une partie de leur conversation comme suit:
ยซNous avons entendu un Coran merveilleuxยป.
L’importance de cette conversation ou dialogue rรฉside en ceci qu’il s’agit d’une conversation unilatรฉrale, et non un dialogue entre deux parties, l’une interroge, l’autre rรฉpond, ou l’une parle l’autre commente, ou encore, l’une fait un discours ร l’intention d’un autre ou d’un groupe d’auditeurs.
On peut mรชme imaginer que cette forme de dialogue correspondrait ร ce qui se passerait chez nous, nous les humains, lorsqu’une nouvelle grave ou importante nous parvient et que chacun de nous accourt voir son ami ou ses amis pour la leur transmettre.
Il est naturel que, lorsqu’un groupe de djinns ont รฉcoutรฉ le Coran disent ร leurs amisย : ยซNous avons รฉcoutรฉ un Coran merveilleuxยป, leurs interlocuteurs commentent cette nouvelle – bonne ou mauvaise soit-elle.
Cependant le rรฉcit ne nous fait pas part de tels commentaires qui seraient faits par ceux qui sont censรฉs รชtre les interlocuteurs des djinns qui ont reรงu la nouvelle.
La raison (artistique) en est que le rรฉcit cherche ร faire connaรฎtre, avant tout et surtout, la rรฉaction des djinns ร la dรฉcouverte du Coran, ร savoir leur acceptation, de bon grรฉ, du Message du Ciel, comme le suite du rรฉcit nous le montrera ultรฉrieurement.
Quand le rรฉcit dรฉbute comme ceciย : ยซUn groupe de djinn รฉcoutaient; ils dirent ensuiteย : Nous avons entendu un Coran merveilleuxยป, plusieurs cas de figure frappent l’imagination du lecteur, lequel pourrait se poser diverses questionsย :
– Est-ce que le Prophรจte (P) a lu le Coran aux djinns de la mรชme faรงon qu’il l’avait fait avec les humainsย ?
– Ou bien, les djinns ont-ils pu รฉcouter le Coran lorsque le Prophรจte le lisait aux humainsย ?
– Le Coran a-t-il รฉtรฉ lu dans la langue des djinnsย ? Ceux-ci ont-ils donc une langue qui leur soit propreย ? Si non, comprennent-ils alors la langue arabeย ?
– Est-ce qu’un groupe de djinns seulement, ร l’exclusion d’autres, ont eu l’occasion d’รฉcouter le Coranย ? Pourquoiย ?
Ces interrogations que le dรฉbut romanesque suscite chez un lecteur attentif qui cherche ร comprendre ce qu’il lit, ne trouvent pas de rรฉponse dans le rรฉcit lui-mรชme, lequel nous laisse le soin d’รฉchafauder ces diffรฉrentes hypothรจses et de chercher la rรฉponse aux diffรฉrents cas de figure qui s’imposent.
On peut dรฉduire facilement que le rรฉcit, en tant que procรฉdรฉ littรฉraire, ne cherche pas ร nous faire connaรฎtre la langue des djinns, si une telle langue existait, ni ร dรฉfinir la nature de la relation sociale entre ces derniers et les humains, et par consรฉquent la faรงon dont leur est communiquรฉ le savoir (le Message); mais il veut souligner ร notre attention leur rรฉaction ร la dรฉcouverte du Message de l’Islam.
Dรจs lors les dรฉtails relatifs ร leur langue et ร leur mode de perception de la connaissance ne sont plus nรฉcessaires. Notons au passage, ร ce propos, que mรชme les textes de l’exรฉgรจse (tafsรฎr) ne projettent pas de lumiรจre sur cet aspect du sujet. En effet, certains de ces textes nient que le Prophรจte ait lu le Coran aux djinns directement, et affirment qu’un groupe de ceux-ci ont pu l’entendre indirectement.
D’autres textes avancent que le hรฉros des djinns รฉtait venu le voir et repartit pour lire aux siens le Coran qu’il avait appris. D’autres encore, disent que le Prophรจte (P) avait rencontrรฉ sept ou neuf hรฉros des djinns et qu’il les a envoyรฉs ร leurs congรฉnรจres leur communiquer le Coran.
Mais comme nous l’avons dit, ce qui importe, sur le plan artistique, ce n’est pas le nombre des djinns ni le groupe auxquels ils appartiennent, ni la faรงon dont ils ont รฉcoutรฉ le Coran, mais c’est le fait d’avoir รฉcoutรฉ le texte coranique et rรฉalisรฉ l’importance du Message envoyรฉ par le Ciel au Prophรจte (P), ce qui les a rendus รฉmerveillรฉs et les a amenรฉs ร rรฉagir ainsiย : ยซNous avons รฉcoutรฉ un Coran merveilleuxย !ยป.
Ce qui importe encore plus, ils ont compris les dรฉtails de la situation nouvelle et sa relation avec leur attitude passรฉe et future, comme ils nous le font savoir eux-mรชmes ร travers leur dialogue multilatรฉral ou le long discours qu’ils ont tenu ร l’adresse des leurs.
Cependant, les hรฉros des djinns qui avaient pu รฉcouter le Coran lors de sa rรฉvรฉlation et qui l’ont commentรฉ parย :ย ยซNous avons รฉcoutรฉ un Coran merveilleuxยป, semblent constituer un groupe particulier se distinguant par une conscience ou une position sociale diffรฉrente de celle de leurs congรฉnรจres, comme cela se passe dans la sociรฉtรฉ humaine par exemple.
Autrement, pourquoi est-ce seulement ce groupe qui avait-il eu l’occasion d’รฉcouter le Coran et de comprendre le Message du Ciel, pour accourir par la suite vers les leurs en vue de leur transmettre cet รฉvรฉnement grandioseย ?
Il est vraisemblable que l’environnement des djinns est similaire ร celui des humains, quant ร la nature de leur constitution psychologique et intellectuelle, et surtout de leur position philosophique vis-ร -vis de l’Univers et de son Crรฉateur… C’est du moins ce que les hรฉros des djinns nous rรฉvรจlent eux-mรชmes. Ecoutons-les donc alors qu’ils poursuivent leur discours ร l’adresse des autres djinnsย :
ยซNous avons รฉcoutรฉ un Coran merveilleux.ยปIl guide vers la voie droite; nous y avons cru et nous n’associerons jamais personne ร notre Seigneur.ยป Notre Seigneur, en vรฉritรฉ – que Sa Grandeur soit exaltรฉe – ne s’est donnรฉ ni compagne, ni enfantยป.[3]
Jusqu’ici, le discours tenu par ce groupe distinguรฉ de djinns ร l’attention du public des djinns, se rapporte au thรจme de l’Unicitรฉ et du refus de l’association de quiconque ร Allah.
Or, il ne fait pas de doute que le fait d’รฉvoquer l’unicitรฉ et le refus de l’associationnisme laisse entrevoir l’existence d’un รฉlรฉment de scepticisme dans l’esprit de certains djinns, tout comme cela existe dans l’esprit de quelques รฉlรฉments inconscients parmi les humains.
Mais la distinction entre deux types de publicย : le public monothรฉiste et le public sceptique, se prรฉcise d’une faรงon plus gรฉnรฉrale, lorsque ce groupe distinguรฉ de djinns annonce la source de l’engendrement de l’รฉlรฉment de scepticisme dans l’esprit des djinns, ร savoir le Satan.
Ce groupe de djinns conscients, poursuivant leur discours nous informent ร ce proposย :
ยซCelui qui, parmi nous, est insensรฉ disait des extravagances au sujet de Dieuยป.[4]
Ce qualificatif ยซย insensรฉย ยป a une grande signification artistique et idรฉologique. Son importance tient au fait que ce mot est รฉmis par un groupe appartenant au genre de ยซย djinnย ยป et connaissant parfaitement leur chef, puisqu’ils l’ont qualifiรฉ d’insensรฉ.
Il va de soi que le mot insensรฉ n’honore nullement celui qu’il est qualifiรฉ, car le fait d’รชtre insensรฉ relรจve d’une forme de dรฉbilitรฉ.
Or rien n’est plus dรฉmoralisant ni plus amer que le fait que le chef qui a pu induire en erreur un groupe de djinns se voit traitรฉ d’insensรฉ par ses adeptes, alors mรชme qu’il avait cru avoir rรฉussi ร les รฉgarer.
Mais l’importance du qualificatif ยซย insensรฉย ยป ne se limite pas ร son impact nรฉgatif sur la personnalitรฉ du Satan, elle s’affirme aussi par l’impact qu’il laisse รฉgalement sur le lecteur ou l’auditeur lui-mรชme.
En effet, lorsque ce dernier se rend compte que l’รฉlรฉment de scepticisme qu’a insufflรฉ le Satan, a pour source un รชtre insensรฉ et souffrant de dรฉbilitรฉ mentale, il n’attache aucun crรฉdit aux idรฉes et aux insinuations d’une telle personnalitรฉ perverse, รฉtant donnรฉ que l’esprit est normalement rรฉceptif aux idรฉes รฉmises par une source saine.
C’est exactement ce qui s’est passรฉ avec cette รฉlite consciente de djinns qui, dรจs lors qu’ils se sont rendus compte du caractรจre insensรฉ du Satan, ont rejetรฉ ses idรฉes et se sont acheminรฉs vers la foi en Allah et en le Message de l’Islam.
Poursuivons encore le discours de l’รฉlite des djinns prononcรฉ ร l’adresse de son public. Ayant mis l’accent sur le caractรจre insensรฉ du Satan, elle ditย : ยซNous pensions que ni les hommes, ni les djinns ne profรฉraient un mensonge contre Dieuยป.[5]
Lร une nouvelle situation se rรฉvรจle. Car jusqu’ร prรฉsent, les djinns n’ont parlรฉ que du Satan, l’insensรฉ, mais ici, ils รฉvoquent les humains aussi et leur attribuent un qualificatif partageant le qualificatif des djinns, ร savoir: le fait de profรฉrer des mensonges contre Allah.
La question qui se pose maintenant est pourquoi les hรฉros des djinns ont-ils insรฉrรฉ l’รฉlรฉment ยซย humainย ยป dans cette partie de leur discours, alors qu’ils parlent de leur expรฉrience propreย ?
A notre avis, lorsque le rรฉcit รฉvoque cette sรฉquence et d’autres relatives aux humains, il visait ceux-ci รฉgalement dans la mesure oรน il s’agit d’une affaire qui se rapporte ร l’expรฉrience de l’homme aussi, puisque c’est ce dernier qui se trouve le lecteur du rรฉcit qui met en scรจne une expรฉrience de djinns.
Profรฉrer des mensonges contre Allah constitue un crime ou un dรฉlit rationnel รฉvident. Car Allah est une Vรฉritรฉ qui impose Son Existence et une รฉvidence qui se passe d’argument. Pourquoi dรจs lors y aurait-il des djinns et des humains qui la renieraientย ?
Les hรฉros des djinns ont donc tout ร fait raison de croire qu’il n’est pas possible qu’un djinn ou un humain invente des mensonges contre Dieu.
De la mรชme faรงon, l’รฉlรฉment ยซย humainย ยป s’impose ร l’esprit des djinns conscients, dans la mesure oรน il essaie, par son ignorance ou par la dรฉformation de son esprit, de nier la Vรฉritรฉ d’Allah.
Si l’รฉlite consciente des djinns a insรฉrรฉ l’รฉlรฉment humain dans la partie prรฉcรฉdente de son discours, pour la raison que nous venons d’expliquer, elle va l’insรฉrer de nouveau dans la sรฉquence suivante de ce discours, ร travers une autre expรฉrience qu’elle nous relateย :
ยซIl y avait des mรขles parmi les humains qui cherchaient la protection des mรขles parmi les djinns, et ceux-ci augmentaient la folie des hommes; ils pensaient alors, comme vous, que Dieu ne ressusciterait personneยป.[6]
Dans ces sรฉquences du discours des djinns il y a deux vรฉritรฉs liรฉes aux humains et ร leur relation avec les djinnsย : la premiรจre est que certains humains se protรฉgeaient par les djinns, protection qui aboutit ร l’aggravation de leur folie. La seconde est le partage par les humains du scepticisme des djinns quant au Jour Dernier.
Il est indรฉniable que cette derniรจre vรฉritรฉ, le scepticisme relatif au Jour Dernier, est liรฉe au scepticisme vis-ร -vis de l’Unicitรฉ aussi, comme nous l’avons dรฉjร soulignรฉ. Mais en fait, elle reste liรฉe aussi ร la question du recours ร la protection des djinns, point sur lequel nous devons nous arrรชter en raison de son importance majeure pour le lien existant entre l’รฉlรฉment ยซย djinnย ยป et l’รฉlรฉment ยซย humainย ยป.
La question qui se pose, sur le plan romanesque est de savoir pourquoi les hรฉros des djinns qui ont tenu leur discours au public des djinns ont soulevรฉ l’affaire du recours des humains aux mรขles des djinnsย ?
Est-ce parce que les djinns possรฉderaient des forces dont les humains sont privรฉsย ? Est-ce que leur forme invisible aurait un lien avec ce trait distinctifย ? Y aurait-il des expรฉriences humaines dans ce domaine, qui auraient conduit les djinns ร les exposer de la sorteย ? Puis, quel rapport y a-t-il entre l’รฉchec des expรฉriences des humains lors de leur recours ร la protection des djinns, et la nouvelle position annoncรฉe par les hรฉros des djinns aprรจs avoir รฉcoutรฉ le Coran et eu foi en lโIslamย ?
Ces interrogations requiรจrent des rรฉponses prรฉcises dans la mesure oรน elles ont trait aux expรฉriences des humains pour qui ce rรฉcit a รฉtรฉ transmis.
Le lecteur (ou l’auditeur) s’imagine que lorsque les hรฉros des djinns parlent ร leur public, des mรขles parmi les humains qui cherchent la protection des mรขles parmi les djinns, c’est tout d’abord pour attirer l’attention de ce public sur le fait que cette protection que les humains cherchent auprรจs des djinns tient ร la nature particuliรจre de ces derniers: des forces invisibles qui รฉvoquent tout ce qui est รฉtrange et รฉtonnant pour les humains, qui se dรฉplacent librement non seulement dans un milieu grand comme l’espace qui sรฉpare le Ciel de la Terre, mais รฉgalement dans le milieu terrestre, qui ont le pouvoir d’exercer une influence sur les รชtres humains; et c’est ensuite pour faire comprendre ร leur public que cette protection (recherchรฉe par les humains auprรจs des djinns) est un acte condamnable: la preuve en est que les djinns n’ont fait qu’augmenter la folie, les pรฉchรฉs et la faiblesse des hommes qui avaient cherchรฉ leur protection.
Pis, cette recherche de protection auprรจs des djinns pourrait constituer un motif d’encouragement pour ces derniers et les pousser ร s’enorgueillir et ร se prendre pour des entitรฉs toutes puissantes, ce qui est sans aucun doute condamnable, surtout lorsqu’on sait que le dernier mot et la Puissance absolue appartiennent ร Allah uniquement ร l’exclusion de toute autre entitรฉ, ou pouvoir, terrestre ou extraterrestre.
Ces diffรฉrentes significations que nous avons dรฉgagรฉes du discours des hรฉros des djinns ร l’attention de leur public se rรฉvรจlent d’une grande importance dans ce contexte romanesque qui a รฉtรฉ รฉcrit ร notre intention, nous les humains, et ร nul autre.
Cette partie du rรฉcit nous suggรจre que tout recours ร quelqu’un d’autre qu’Allah sera vain et inutile, et qu’il trahit notre faiblesse et l’absence de confiance en Allah.
Elle nous fait savoir ensuite que les djinns, ou du moins un groupe de djinns, malgrรฉ leurs pouvoirs considรฉrables (aux yeux des humains), malgrรฉ leur orgueil et bien qu’ils aient subi l’influence directe de leur grand chef (insensรฉ), Satan, n’ont pas hรฉsitรฉ un moment ร croire en Allah et au Message de Mohammad (P), dรจs qu’ils ont รฉcoutรฉ la rรฉcitation du Coran.
Le rรฉcit se propose enfin de nous faire comprendre, indirectement que les djinns malgrรฉ leur appartenance ร un genre non humain, et bien que le Coran soit rรฉvรฉlรฉ dans la langue humaine, leurs hรฉros ont รฉpousรฉ promptement le Message de Mohammad aussitรดt qu’ils en ont pris connaissance, alors que les humains ont hรฉsitรฉ ร rรฉpondre ร l’Appel au Bien.
Naturellement la leรงon ร tirer de ce rรฉcit ne se limite pas ร la question de l’Unicitรฉ et du monothรฉisme, mais la dรฉborde pour couvrir l’attitude des humains face ร tous les principes de l’Islam en gรฉnรฉral. En d’autres termes l’expรฉrience humaine doit tirer la leรงon de l’expรฉrience des djinns pour amender et rรฉformer sa conduite en gรฉnรฉral vis-ร -vis de sa fonction de lieutenance (khilรขfah) sur la Terre, fonction que le Ciel nous a assignรฉe pendant la durรฉe limitรฉe de notre existence dans le monde d’ici-bas.
Ecoutons encore l’รฉlite des djinns poursuivre son discoursย :
ยซNous avions frรดlรฉ le Ciel et nous l’avions trouvรฉ rempli de gardiens redoutables et de dards flamboyants.ยปNous รฉtions assis sur des siรจges pour รฉcouter; mais quiconque รฉcoute rencontre aussitรดt un dard flamboyant aux aguets.ยปNous ne savions pas si un mal est voulu pour ceux qui sont sur la Terre, ou si leur Seigneur veut qu’ils se maintiennent sur la Voie Droiteยป.[7]
Dans ces sรฉquences du discours des hรฉros des djinns ร l’adresse de leur public, le rรฉcit divulgue de nouvelles vรฉritรฉs dans le domaine du phรฉnomรจne cosmique qui a accompagnรฉ la rรฉvรฉlation du Message de l’Islam. Ces vรฉritรฉs nous montrent, ร nous les humains, l’importance considรฉrable du Message de l’Islam que le Ciel a choisi pour nous.
En effet, un changement dans le systรจme cosmique s’est opรฉrรฉ lors de la naissance du Message de l’Islam, changement que le dialogue ou le discours des djinns nous font dรฉcouvrir.
Tout d’abord l’affirmation: ยซNous avions frรดlรฉ le Ciel et nous l’avions trouvรฉ rempli de gardiens redoutables et de dards flamboyantsยป signifie que les djinns รฉtaient en train de monter vers le Ciel et qu’ils l’ont trouvรฉ rempli d’anges et de dards flamboyants, c’est-ร -dire les lumiรจres รฉtendues du Ciel.
Puis lโรฉnoncรฉย : ยซNous รฉtions assis sur des siรจges pour รฉcouterยป signifie que lors de leur ascension vers le Ciel et de leur observation de ses gardiens angรฉliques et de ses dards flamboyants, les djinns รฉcoutaient les voix des anges et leurs mouvements.
Mais ce qui s’est produit par la suite c’est que ยซquiconque รฉcoute rencontre aussitรดt un dard flamboyant aux aguetsยป. C’est dire que ces djinns qui jouissaient jusqu’alors de la libertรฉ de se mouvoir et de se dรฉplacer dans l’espace, au point qu’ils voyaient les anges et des dards flamboyants et qu’ils apprenaient les secrets (du Ciel), se trouvent maintenant (c’est-ร -dire aprรจs la descente du Coran sur Mohammad (P)) dans une situation telle qu’un dard flamboyant les guette et les empรชche de monter, dรจs qu’ils essaient de tendre l’oreille pour รฉcouter.
Le fait d’associer la rรฉtention des djinns – c’est-ร -dire le fait de l’interdiction de monter vers le Ciel – au Message du Coran, nous fournit une indication claire de l’importance de ce que nous venons de signaler, au passage, plus haut, ร savoir le changement intervenu dans le systรจme cosmique lors de la Rรฉvรฉlation du Message de l’Islam. Cette association a attirรฉ donc l’attention des djinns sur l’avรจnement d’un phรฉnomรจne important qui les a conduits ร sโinterrogerย : ยซNous ne savions pas si un mal est voulu pour ceux qui sont sur la terre, ou si leur Seigneur veut qu’ils se maintiennent sur la Voie Droiteยป ou en d’autres termesย : si un tourment sera infligรฉ aux humains, ou si un Message les guidera sur le Droit Chemin.
Les hรฉros des djinns se sont donc rendus compte de l’occurrence du phรฉnomรจne important, tel que nous l’avons vu.
Maintenant, ces hรฉros continuent, ร travers leur discours tenu ร leur public aprรจs qu’ils ont รฉcoutรฉ le Coran, ร nous faire dรฉcouvrir davantage de vรฉritรฉs relatives ร leur monde, ce qui peut nous permettre de tirer plus de leรงons de leurs expรฉriences.
Ils relatentย :
ยซCertains d’entre nous sont justes tandis que d’autres ne le sont pas; nous suivons des chemins diffรฉrents.ยปNous savions que nous ne pourrions pas affaiblir la Puissance de Dieu sur la Terre, et que nous ne pourrions y รฉchapper par la fuite.ยปNous avons cru en la Direction, lorsque nous l’avons entendueย : ยซย Quiconque croit en son Seigneur ne craint plus ni dommage, ni affront.ยปIl y a parmi nous des soumis et, parmi nous, des rรฉvoltรฉs. Ceux qui sont soumis ont choisi la Voie Droite.ยปQuant aux rรฉvoltรฉs, ils serviront de combustible ร la Gรฉhenne[8]ยป.
Ces propos ne sont pas (dans la logique du rรฉcit) une simple transposition d’une expรฉrience d’une dynastie d’รชtres ignรฉs. Ils relรจvent essentiellement des expรฉriences humaines. Car en fait il y a des justes (parmi les djinns et les humains), comme il y en a de moins justes. De mรชme, il y a des groupes diffรฉrents (chemins diffรฉrents). Mais comme les djinns l’ont dit ร bon escient, personne dans l’univers, ne peut ยซaffaiblir la Puissance de Dieu sur la Terreยป, ni ne peut ยซy รฉchapper par la fuiteยป. La dominance demeure ร Allah seul.
Par consรฉquent, dรจs que les hรฉros des djinns se sont confrontรฉs ร cette vรฉritรฉ, ils ont proclamรฉ en s’adressant aux leursย :
ย ยซNous avons cru en la Direction, lorsque nous l’avons entendueยป[9]. Enfin le rรฉcit nous transmet cette sรฉquence qui rรฉsume toutย : ยซQuiconque croit en son Seigneur ne craint plus ni dommage, ni affrontยป[10].
Lorsque le rรฉcit nous transcrit textuellement le discours tenu par un groupe de djinns ร leur public, il nous vise nous les humains ร travers la similitude de l’expรฉrience vรฉcue par la dynastie des รชtres faits d’argile et celle des รชtres ignรฉs, quant au conflit entre la voluptรฉ et la raison, qui habite l’une et l’autre. Les hรฉros des djinns ont expliquรฉ qu’il est parmi eux des ยซย Musulmansย ยป et des ยซย rรฉvoltรฉsย ยป, des ยซย justesย ยป et de ยซย moins justesย ยป, ainsi que des ยซย chemins diffรฉrentsย ยป. Cette mรชme vรฉritรฉ marque les humains.
Mais les membres conscients des djinns (les hรฉros) ont expliquรฉ que la vรฉritรฉ est que la foi en Allah abolit la crainte de tout dommage et de tout affront, ce qui signifie, en fin de compte, que les hommes devraient รชtre plus portรฉs que les djinns ร percevoir de telles vรฉritรฉs que le Ciel leur a prodiguรฉes, en faisant descendre le Coran sur l’un d’entre eux, le Prophรจte Mohammad (P), et qui mieux, dans une langue qu’ils maรฎtrisent parfaitement.
Ainsi, ce rรฉcit divertissant qui nous a transmis l’expรฉrience des djinns reprรฉsente un modรจle de divers procรฉdรฉs littรฉraires par lesquels le Coran cherche ร nous conduire ร rectifier notre conduite et ร comprendre la Vรฉritรฉ de notre devoir d’adoration ou de soumission totale ร Allah et ร Ses Ordres.