Abstract
Sourate (72) : Al Djinn
A- La Sourate
1. Dis : ‹Il m’a été révélé qu’un groupe de djinns prêtèrent l’oreille, puis dirent: ‹Nous avons certes entendu une Lecture [le Coran] merveilleuse,
2. qui guide vers la droiture. Nous y avons cru, et nous n’associerons jamais personne à notre Seigneur.
3. En vérité notre Seigneur – que Sa grandeur soit exaltée – ne S’est donné ni compagne, ni enfant!
4. Notre insensé [Iblis] disait des extravagances contre Allah.
5. Et nous pensions que ni les humains ni les djinns ne sauraient jamais proférer de mensonge contre Allah.
6. Or, il y avait parmi les humains, des mâles qui cherchaient protection auprès des mâles paris les djinns mais cela ne fît qu’accroître leur détresse.
7. Et ils avaient pensé comme vous avez pensé qu’Allah ne ressusciterait jamais personne.
8. Nous avions fròlé le ciel et Nous l’avions trouvé plein d’une forte garde et de bolides.
9. Nous y prenions place pour écouter. Mais quiconque prête l’oreille maintenant, trouve contre lui un bolide aux aguets.
10. Nous ne savons pas si on veut du mal aux habitants de la terre ou si leur Seigneur veut les mettre sur le droit chemin.
11. Il y a parmi nous des vertueux et [d’autre] qui le sont moins: nous étions divisés en différentes sectes.
12. Nous pensions bien que nous ne saurions jamais réduire Allah à l’impuissance sur la terre et que nous ne saurions jamais le réduire à l’impuissance en nous enfuyant.
13. Et lorsque nous avons entendu le guide [le Coran], nous y avons cru, et quiconque croit en son Seigneur ne craint alors ni diminution de récompense ni oppression.
14. Il y a parmi nous les Musulmans, et il y en a les injustes [qui ont dévié]. Et ceux qui se sont convertis à l’Islam sont ceux qui ont cherché la droiture.
15. Et quant aux injustes, ils formeront le combustible de l’Enfer.
16. Et s’ils se maintenaient dans la bonne direction, Nous les aurions abreuvés, certes d’une eau abondante,
17. afin de les y éprouver. Et quiconque se détourne du rappel de son Seigneur, Il l’achemine vers un châtiment sans cesse croissant.
18. Les mosquées sont consacrées à Allah: n’invoquez donc personne avec Allah.
19. Et quand le serviteur d’Allah s’est mis debout pour L’invoquer, ils faillirent se ruer en masse sur lui..
20. Dis: ‹Je n’invoque que mon Seigneur et ne Lui associe personne›.
21. Dis: ‹Je ne possède aucun moyen pour vous faire du mal, ni pour vous mettre sur le chemin droit›.
22. Dis: ‹Vraiment, personne ne saura me protéger contre Allah; et jamais je ne trouverai de refuge en dehors de Lui.
23. [Je ne puis que transmettre] une communication et des messages [émanant] d’Allah. Et quiconque désobéit à Allah et à son Messager aura le feu de l’Enfer pour y demeurer éternellement.
24. Puis, quand ils verront ce dont on les menaçait, ils sauront lesquels ont les secours les plus faibles et [lesquels] sont les moins nombreux.
25. Dis: ‹Je ne sais pas si ce dont vous êtes menacés est proche, ou bien, si mon Seigneur va lui assigner un délai.
26. [C’est Lui] qui connaît le mystère. Il ne dévoile Son mystère à personne,
27. sauf à celui qu’Il agrée comme Messager et qu’Il fait précéder et suivre de gardiens vigilants,
28. afin qu’Il sache s’ils ont bien transmis les messages de leur Seigneur. Il cerne (de Son savoir) ce qui est avec eux, et dénombre exactement toute chose›.
Cette sourate traite, comme son titre l’indique, d’un genre de créatures invisibles à nos sens, les djinns. Tout en nous informant qu’il y a parmi les djinns, comme chez les humains, des croyants et des incroyants, elle raconte surtout l’histoire d’un groupe de ces êtres invisibles, qui ont cru à notre Prophète Mohammad (P), au Noble Coran et à la Résurrection.
Les versets 1-19 sur les 28 que comprend la sourate nous apprennent beaucoup de choses sur le monde des djinns et rectifient maintes croyances les concernant. La partie suivante de cette sourate fait référence au monothéisme et à la résurrection. La dernière partie traite du Mystère dont on ne connaît que ce qu’Allah le permet.
Les circonstances de la Révélation
On peut résumer les circonstances de la révélation de la Sourate al Djinn (vraisemblablement identiques à celle de la Sourate 46, Al-Ahqâf) comme suit :
1-Venant de la Mecque, le Prophète Mohammad (P) s’était rendu à Souq Akkadh à Taëf pour appeler les gens à l’Islam. S’étant buté au refus de ses interlocuteurs de répondre à son appel, il passa, lors de son voyage de retour, une nuit dans une vallée dénommée « La Vallée des Djinns » en lisant le Coran. Là un groupe de djinns après avoir écouté sa récitation, et cru en sa Prophétie se mirent à inviter les leurs à faire de même.
2- Selon « Sahîh al-Bokhârî » et « Sahîh Muslim » citant Ibn ‘Abbas : alors que le Prophète (P) récitait le Coran pendant la Prière de l’Aube, des Djinn, qui recherchaient la cause de l’interruption des nouvelles venant du Ciel, l’ont écouté et se sont dit : «Voilà ce qui s’est interposé entre nous et les nouvelles du Ciel». Après quoi, ils retournèrent vers les leurs pour leur communiquer ce qu’ils venaient d’entendre.
3- Après le décès de son oncle et protecteur, Abû Tâlib, la situation du Prophète était devenue très critique à la Mecque. Il s’était résolu donc à partir pour Tâëf dans l’espoir d’y trouver des partisans. Mais, les habitants de cette ville qui se sont montrés très hostiles à son Message, l’ont traité de menteur, persécuté et bombardé de pierres avec un tel acharnement que ses pieds se mirent à saigner. Aussi s’est-il réfugié dans un hameau, pour se remettre de sa fatigue et se reposer. Là, le serviteur du propriétaire de ce lieudit, l’ayant vu, s’est converti à sa religion. En retournant la nuit vers la Mecque, le Prophète (P) s’est arrêté à Nakhlah pour accomplir la Prière de l’Aube. Quelques djinns originaires de Naçîbayn ou du Yémen, qui passaient par là l’entendirent réciter sa Prière et crurent en son Message.[1]
B- Le Récit
Les héros ou les personnages constituent un élément vital dans une oeuvre romanesque. Ils fournissent à celle-ci le mouvement qui tient le lecteur en haleine, étant donné que toute péripétie et toute situation sont obligatoirement liées aux personnages.
L’intérêt et la vivacité du récit augmentent lorsqu’il y a diversité de héros – surtout si cette diversité comprend des héros d’une race ou d’un genre inhabituellement différent, tels que les anges, les djinns ou les oiseaux par exemple.
Dans d’autres récits coraniques, les « anges » par exemple, partagent avec les humains les rôles du récit. De même les djinns et les oiseaux jouent aux côtés des personnages humains des rôles dans les récits de « Suleyman » (Salomon).
Dans le présent récit, les djinns sont des héros à part entière et jouent un rôle spécifique fait à leur mesure et indépendamment de tous autres héros de race différents.
La vitalité de tels héros ne tient pas au simple fait qu’ils représentent un élément invisible par exemple, ou un élément d’étrangeté, mais réside en ceci qu’ils partagent avec les humains la même nature de préoccupations, d’ambitions et de mouvement dans l’existence en général.
Lorsque le récit coranique nous présente des vérités et des héros non humains, il ne cherche pas à nous distraire ou à nous amuser, mais vise par ce procédé à nous sensibiliser, nous les humains, à la vérité de notre fonction d’adoration d’Allah sur la terre, à nous faire profiter des expériences des autres, seraient-ils d’un genre non humain, pour corriger et réformer notre conduite.
Les djinns sont des créatures invisibles qui ont leur milieu particulier que le Ciel leur a adapté. De même, tout comme les humains et toutes les autres créatures, ils n’ont pas été créés par pure gratuité, mais pour accomplir des tâches déterminées.
En tout état de cause le récit dont nous traitons ici vise à nous présenter certaines vérités relatives aux djinns et la relation de ceux-ci avec les êtres humains dans la mesure où les deux genres ont pour point commun l’accomplissement de la tâche d’adoration, chacun dans son milieu propre : les djinns dans leur milieu particulier et les hommes sur la terre. Il a pour but, surtout de nous faire tirer la leçon de l’expérience des héros non humains, pour que nous puissions mieux nous acquitter du devoir d’adoration pour l’accomplissement duquel nous avons été créés.
Quelle est donc cette expérience que les héros djinns veulent bien nous présenter ?
La réponse se dégage facilement du récit. Il s’agit de la foi des djinns en le Message de l’Islam. Certes, on pourrait croire de prime abord que l’Islam est un message adressé exclusivement aux êtres humains puisque ses protagonistes sont d’une part la personne envoyée, « Le Messager (P) » et d’autre part, les destinataires du Message: l’humanité. Mais cette croyance s’estompe lorsque le récit nous raconte l’histoire de héros extraterrestres faits d’une substance ignée spécifique (invisible) qui ont un langage propre incompréhensible pour les êtres humains ordinaires, un milieu extraterrestre. Pourtant ils traitent avec le Message du Coran.
L’expérience vécue par ces personnages pas comme les autres, est exposée de la façon suivante par le récit :
«Un groupe de Djinns écoutaient.»Ils ont dit : « Nous avons entendu un Coran merveilleux»[2].
Il ne faut pas passer rapidement sur ce début du récit, apparemment sans grand intérêt. On doit s’y arrêter longuement, car il s’agit d’un récit qui expose les faits selon un procédé littéraire bien particulier, ce qui permet de penser que son début présenté de cette façon particulière et non autrement recèle une signification déterminée. Mais avant de développer ce sujet, nous devons savoir que ce récit est élaboré selon une structure architecturale spécifique.
Il est notoire dans la littérature romanesque que la présentation des faits se fait selon des procédés divers : narration, relation et dialogue, seulement dialogue; celui-ci peut être un vrai dialogue (entre les parties ou plus) ou un monologue et un monologue intérieur, ou même un monologue collectif ambigu etc.
Dans ce récit, c’est le dialogue qui constitue les fils tissu de la trame. C’est un dialogue qui n’est pas suivi de commentaire, mais un dialogue linéaire collectif et équivoque où les héros djinn parlent à eux-mêmes, où avec les leurs, comme nous le révèle le début du récit, lorsqu’il nous a transmis une partie de leur conversation comme suit:
«Nous avons entendu un Coran merveilleux».
L’importance de cette conversation ou dialogue réside en ceci qu’il s’agit d’une conversation unilatérale, et non un dialogue entre deux parties, l’une interroge, l’autre répond, ou l’une parle l’autre commente, ou encore, l’une fait un discours à l’intention d’un autre ou d’un groupe d’auditeurs.
On peut même imaginer que cette forme de dialogue correspondrait à ce qui se passerait chez nous, nous les humains, lorsqu’une nouvelle grave ou importante nous parvient et que chacun de nous accourt voir son ami ou ses amis pour la leur transmettre.
Il est naturel que, lorsqu’un groupe de djinns ont écouté le Coran disent à leurs amis : «Nous avons écouté un Coran merveilleux», leurs interlocuteurs commentent cette nouvelle – bonne ou mauvaise soit-elle.
Cependant le récit ne nous fait pas part de tels commentaires qui seraient faits par ceux qui sont censés être les interlocuteurs des djinns qui ont reçu la nouvelle.
La raison (artistique) en est que le récit cherche à faire connaître, avant tout et surtout, la réaction des djinns à la découverte du Coran, à savoir leur acceptation, de bon gré, du Message du Ciel, comme le suite du récit nous le montrera ultérieurement.
Quand le récit débute comme ceci : «Un groupe de djinn écoutaient; ils dirent ensuite : Nous avons entendu un Coran merveilleux», plusieurs cas de figure frappent l’imagination du lecteur, lequel pourrait se poser diverses questions :
– Est-ce que le Prophète (P) a lu le Coran aux djinns de la même façon qu’il l’avait fait avec les humains ?
– Ou bien, les djinns ont-ils pu écouter le Coran lorsque le Prophète le lisait aux humains ?
– Le Coran a-t-il été lu dans la langue des djinns ? Ceux-ci ont-ils donc une langue qui leur soit propre ? Si non, comprennent-ils alors la langue arabe ?
– Est-ce qu’un groupe de djinns seulement, à l’exclusion d’autres, ont eu l’occasion d’écouter le Coran ? Pourquoi ?
Ces interrogations que le début romanesque suscite chez un lecteur attentif qui cherche à comprendre ce qu’il lit, ne trouvent pas de réponse dans le récit lui-même, lequel nous laisse le soin d’échafauder ces différentes hypothèses et de chercher la réponse aux différents cas de figure qui s’imposent.
On peut déduire facilement que le récit, en tant que procédé littéraire, ne cherche pas à nous faire connaître la langue des djinns, si une telle langue existait, ni à définir la nature de la relation sociale entre ces derniers et les humains, et par conséquent la façon dont leur est communiqué le savoir (le Message); mais il veut souligner à notre attention leur réaction à la découverte du Message de l’Islam.
Dès lors les détails relatifs à leur langue et à leur mode de perception de la connaissance ne sont plus nécessaires. Notons au passage, à ce propos, que même les textes de l’exégèse (tafsîr) ne projettent pas de lumière sur cet aspect du sujet. En effet, certains de ces textes nient que le Prophète ait lu le Coran aux djinns directement, et affirment qu’un groupe de ceux-ci ont pu l’entendre indirectement.
D’autres textes avancent que le héros des djinns était venu le voir et repartit pour lire aux siens le Coran qu’il avait appris. D’autres encore, disent que le Prophète (P) avait rencontré sept ou neuf héros des djinns et qu’il les a envoyés à leurs congénères leur communiquer le Coran.
Mais comme nous l’avons dit, ce qui importe, sur le plan artistique, ce n’est pas le nombre des djinns ni le groupe auxquels ils appartiennent, ni la façon dont ils ont écouté le Coran, mais c’est le fait d’avoir écouté le texte coranique et réalisé l’importance du Message envoyé par le Ciel au Prophète (P), ce qui les a rendus émerveillés et les a amenés à réagir ainsi : «Nous avons écouté un Coran merveilleux !».
Ce qui importe encore plus, ils ont compris les détails de la situation nouvelle et sa relation avec leur attitude passée et future, comme ils nous le font savoir eux-mêmes à travers leur dialogue multilatéral ou le long discours qu’ils ont tenu à l’adresse des leurs.
Cependant, les héros des djinns qui avaient pu écouter le Coran lors de sa révélation et qui l’ont commenté par : «Nous avons écouté un Coran merveilleux», semblent constituer un groupe particulier se distinguant par une conscience ou une position sociale différente de celle de leurs congénères, comme cela se passe dans la société humaine par exemple.
Autrement, pourquoi est-ce seulement ce groupe qui avait-il eu l’occasion d’écouter le Coran et de comprendre le Message du Ciel, pour accourir par la suite vers les leurs en vue de leur transmettre cet événement grandiose ?
Il est vraisemblable que l’environnement des djinns est similaire à celui des humains, quant à la nature de leur constitution psychologique et intellectuelle, et surtout de leur position philosophique vis-à-vis de l’Univers et de son Créateur… C’est du moins ce que les héros des djinns nous révèlent eux-mêmes. Ecoutons-les donc alors qu’ils poursuivent leur discours à l’adresse des autres djinns :
«Nous avons écouté un Coran merveilleux.»Il guide vers la voie droite; nous y avons cru et nous n’associerons jamais personne à notre Seigneur.» Notre Seigneur, en vérité – que Sa Grandeur soit exaltée – ne s’est donné ni compagne, ni enfant».[3]
Jusqu’ici, le discours tenu par ce groupe distingué de djinns à l’attention du public des djinns, se rapporte au thème de l’Unicité et du refus de l’association de quiconque à Allah.
Or, il ne fait pas de doute que le fait d’évoquer l’unicité et le refus de l’associationnisme laisse entrevoir l’existence d’un élément de scepticisme dans l’esprit de certains djinns, tout comme cela existe dans l’esprit de quelques éléments inconscients parmi les humains.
Mais la distinction entre deux types de public : le public monothéiste et le public sceptique, se précise d’une façon plus générale, lorsque ce groupe distingué de djinns annonce la source de l’engendrement de l’élément de scepticisme dans l’esprit des djinns, à savoir le Satan.
Ce groupe de djinns conscients, poursuivant leur discours nous informent à ce propos :
«Celui qui, parmi nous, est insensé disait des extravagances au sujet de Dieu».[4]
Ce qualificatif « insensé » a une grande signification artistique et idéologique. Son importance tient au fait que ce mot est émis par un groupe appartenant au genre de « djinn » et connaissant parfaitement leur chef, puisqu’ils l’ont qualifié d’insensé.
Il va de soi que le mot insensé n’honore nullement celui qu’il est qualifié, car le fait d’être insensé relève d’une forme de débilité.
Or rien n’est plus démoralisant ni plus amer que le fait que le chef qui a pu induire en erreur un groupe de djinns se voit traité d’insensé par ses adeptes, alors même qu’il avait cru avoir réussi à les égarer.
Mais l’importance du qualificatif « insensé » ne se limite pas à son impact négatif sur la personnalité du Satan, elle s’affirme aussi par l’impact qu’il laisse également sur le lecteur ou l’auditeur lui-même.
En effet, lorsque ce dernier se rend compte que l’élément de scepticisme qu’a insufflé le Satan, a pour source un être insensé et souffrant de débilité mentale, il n’attache aucun crédit aux idées et aux insinuations d’une telle personnalité perverse, étant donné que l’esprit est normalement réceptif aux idées émises par une source saine.
C’est exactement ce qui s’est passé avec cette élite consciente de djinns qui, dès lors qu’ils se sont rendus compte du caractère insensé du Satan, ont rejeté ses idées et se sont acheminés vers la foi en Allah et en le Message de l’Islam.
Poursuivons encore le discours de l’élite des djinns prononcé à l’adresse de son public. Ayant mis l’accent sur le caractère insensé du Satan, elle dit : «Nous pensions que ni les hommes, ni les djinns ne proféraient un mensonge contre Dieu».[5]
Là une nouvelle situation se révèle. Car jusqu’à présent, les djinns n’ont parlé que du Satan, l’insensé, mais ici, ils évoquent les humains aussi et leur attribuent un qualificatif partageant le qualificatif des djinns, à savoir: le fait de proférer des mensonges contre Allah.
La question qui se pose maintenant est pourquoi les héros des djinns ont-ils inséré l’élément « humain » dans cette partie de leur discours, alors qu’ils parlent de leur expérience propre ?
A notre avis, lorsque le récit évoque cette séquence et d’autres relatives aux humains, il visait ceux-ci également dans la mesure où il s’agit d’une affaire qui se rapporte à l’expérience de l’homme aussi, puisque c’est ce dernier qui se trouve le lecteur du récit qui met en scène une expérience de djinns.
Proférer des mensonges contre Allah constitue un crime ou un délit rationnel évident. Car Allah est une Vérité qui impose Son Existence et une évidence qui se passe d’argument. Pourquoi dès lors y aurait-il des djinns et des humains qui la renieraient ?
Les héros des djinns ont donc tout à fait raison de croire qu’il n’est pas possible qu’un djinn ou un humain invente des mensonges contre Dieu.
De la même façon, l’élément « humain » s’impose à l’esprit des djinns conscients, dans la mesure où il essaie, par son ignorance ou par la déformation de son esprit, de nier la Vérité d’Allah.
Si l’élite consciente des djinns a inséré l’élément humain dans la partie précédente de son discours, pour la raison que nous venons d’expliquer, elle va l’insérer de nouveau dans la séquence suivante de ce discours, à travers une autre expérience qu’elle nous relate :
«Il y avait des mâles parmi les humains qui cherchaient la protection des mâles parmi les djinns, et ceux-ci augmentaient la folie des hommes; ils pensaient alors, comme vous, que Dieu ne ressusciterait personne».[6]
Dans ces séquences du discours des djinns il y a deux vérités liées aux humains et à leur relation avec les djinns : la première est que certains humains se protégeaient par les djinns, protection qui aboutit à l’aggravation de leur folie. La seconde est le partage par les humains du scepticisme des djinns quant au Jour Dernier.
Il est indéniable que cette dernière vérité, le scepticisme relatif au Jour Dernier, est liée au scepticisme vis-à-vis de l’Unicité aussi, comme nous l’avons déjà souligné. Mais en fait, elle reste liée aussi à la question du recours à la protection des djinns, point sur lequel nous devons nous arrêter en raison de son importance majeure pour le lien existant entre l’élément « djinn » et l’élément « humain ».
La question qui se pose, sur le plan romanesque est de savoir pourquoi les héros des djinns qui ont tenu leur discours au public des djinns ont soulevé l’affaire du recours des humains aux mâles des djinns ?
Est-ce parce que les djinns posséderaient des forces dont les humains sont privés ? Est-ce que leur forme invisible aurait un lien avec ce trait distinctif ? Y aurait-il des expériences humaines dans ce domaine, qui auraient conduit les djinns à les exposer de la sorte ? Puis, quel rapport y a-t-il entre l’échec des expériences des humains lors de leur recours à la protection des djinns, et la nouvelle position annoncée par les héros des djinns après avoir écouté le Coran et eu foi en l’Islam ?
Ces interrogations requièrent des réponses précises dans la mesure où elles ont trait aux expériences des humains pour qui ce récit a été transmis.
Le lecteur (ou l’auditeur) s’imagine que lorsque les héros des djinns parlent à leur public, des mâles parmi les humains qui cherchent la protection des mâles parmi les djinns, c’est tout d’abord pour attirer l’attention de ce public sur le fait que cette protection que les humains cherchent auprès des djinns tient à la nature particulière de ces derniers: des forces invisibles qui évoquent tout ce qui est étrange et étonnant pour les humains, qui se déplacent librement non seulement dans un milieu grand comme l’espace qui sépare le Ciel de la Terre, mais également dans le milieu terrestre, qui ont le pouvoir d’exercer une influence sur les êtres humains; et c’est ensuite pour faire comprendre à leur public que cette protection (recherchée par les humains auprès des djinns) est un acte condamnable: la preuve en est que les djinns n’ont fait qu’augmenter la folie, les péchés et la faiblesse des hommes qui avaient cherché leur protection.
Pis, cette recherche de protection auprès des djinns pourrait constituer un motif d’encouragement pour ces derniers et les pousser à s’enorgueillir et à se prendre pour des entités toutes puissantes, ce qui est sans aucun doute condamnable, surtout lorsqu’on sait que le dernier mot et la Puissance absolue appartiennent à Allah uniquement à l’exclusion de toute autre entité, ou pouvoir, terrestre ou extraterrestre.
Ces différentes significations que nous avons dégagées du discours des héros des djinns à l’attention de leur public se révèlent d’une grande importance dans ce contexte romanesque qui a été écrit à notre intention, nous les humains, et à nul autre.
Cette partie du récit nous suggère que tout recours à quelqu’un d’autre qu’Allah sera vain et inutile, et qu’il trahit notre faiblesse et l’absence de confiance en Allah.
Elle nous fait savoir ensuite que les djinns, ou du moins un groupe de djinns, malgré leurs pouvoirs considérables (aux yeux des humains), malgré leur orgueil et bien qu’ils aient subi l’influence directe de leur grand chef (insensé), Satan, n’ont pas hésité un moment à croire en Allah et au Message de Mohammad (P), dès qu’ils ont écouté la récitation du Coran.
Le récit se propose enfin de nous faire comprendre, indirectement que les djinns malgré leur appartenance à un genre non humain, et bien que le Coran soit révélé dans la langue humaine, leurs héros ont épousé promptement le Message de Mohammad aussitôt qu’ils en ont pris connaissance, alors que les humains ont hésité à répondre à l’Appel au Bien.
Naturellement la leçon à tirer de ce récit ne se limite pas à la question de l’Unicité et du monothéisme, mais la déborde pour couvrir l’attitude des humains face à tous les principes de l’Islam en général. En d’autres termes l’expérience humaine doit tirer la leçon de l’expérience des djinns pour amender et réformer sa conduite en général vis-à-vis de sa fonction de lieutenance (khilâfah) sur la Terre, fonction que le Ciel nous a assignée pendant la durée limitée de notre existence dans le monde d’ici-bas.
Ecoutons encore l’élite des djinns poursuivre son discours :
«Nous avions frôlé le Ciel et nous l’avions trouvé rempli de gardiens redoutables et de dards flamboyants.»Nous étions assis sur des sièges pour écouter; mais quiconque écoute rencontre aussitôt un dard flamboyant aux aguets.»Nous ne savions pas si un mal est voulu pour ceux qui sont sur la Terre, ou si leur Seigneur veut qu’ils se maintiennent sur la Voie Droite».[7]
Dans ces séquences du discours des héros des djinns à l’adresse de leur public, le récit divulgue de nouvelles vérités dans le domaine du phénomène cosmique qui a accompagné la révélation du Message de l’Islam. Ces vérités nous montrent, à nous les humains, l’importance considérable du Message de l’Islam que le Ciel a choisi pour nous.
En effet, un changement dans le système cosmique s’est opéré lors de la naissance du Message de l’Islam, changement que le dialogue ou le discours des djinns nous font découvrir.
Tout d’abord l’affirmation: «Nous avions frôlé le Ciel et nous l’avions trouvé rempli de gardiens redoutables et de dards flamboyants» signifie que les djinns étaient en train de monter vers le Ciel et qu’ils l’ont trouvé rempli d’anges et de dards flamboyants, c’est-à-dire les lumières étendues du Ciel.
Puis l’énoncé : «Nous étions assis sur des sièges pour écouter» signifie que lors de leur ascension vers le Ciel et de leur observation de ses gardiens angéliques et de ses dards flamboyants, les djinns écoutaient les voix des anges et leurs mouvements.
Mais ce qui s’est produit par la suite c’est que «quiconque écoute rencontre aussitôt un dard flamboyant aux aguets». C’est dire que ces djinns qui jouissaient jusqu’alors de la liberté de se mouvoir et de se déplacer dans l’espace, au point qu’ils voyaient les anges et des dards flamboyants et qu’ils apprenaient les secrets (du Ciel), se trouvent maintenant (c’est-à-dire après la descente du Coran sur Mohammad (P)) dans une situation telle qu’un dard flamboyant les guette et les empêche de monter, dès qu’ils essaient de tendre l’oreille pour écouter.
Le fait d’associer la rétention des djinns – c’est-à-dire le fait de l’interdiction de monter vers le Ciel – au Message du Coran, nous fournit une indication claire de l’importance de ce que nous venons de signaler, au passage, plus haut, à savoir le changement intervenu dans le système cosmique lors de la Révélation du Message de l’Islam. Cette association a attiré donc l’attention des djinns sur l’avènement d’un phénomène important qui les a conduits à s’interroger : «Nous ne savions pas si un mal est voulu pour ceux qui sont sur la terre, ou si leur Seigneur veut qu’ils se maintiennent sur la Voie Droite» ou en d’autres termes : si un tourment sera infligé aux humains, ou si un Message les guidera sur le Droit Chemin.
Les héros des djinns se sont donc rendus compte de l’occurrence du phénomène important, tel que nous l’avons vu.
Maintenant, ces héros continuent, à travers leur discours tenu à leur public après qu’ils ont écouté le Coran, à nous faire découvrir davantage de vérités relatives à leur monde, ce qui peut nous permettre de tirer plus de leçons de leurs expériences.
Ils relatent :
«Certains d’entre nous sont justes tandis que d’autres ne le sont pas; nous suivons des chemins différents.»Nous savions que nous ne pourrions pas affaiblir la Puissance de Dieu sur la Terre, et que nous ne pourrions y échapper par la fuite.»Nous avons cru en la Direction, lorsque nous l’avons entendue : « Quiconque croit en son Seigneur ne craint plus ni dommage, ni affront.»Il y a parmi nous des soumis et, parmi nous, des révoltés. Ceux qui sont soumis ont choisi la Voie Droite.»Quant aux révoltés, ils serviront de combustible à la Géhenne[8]».
Ces propos ne sont pas (dans la logique du récit) une simple transposition d’une expérience d’une dynastie d’êtres ignés. Ils relèvent essentiellement des expériences humaines. Car en fait il y a des justes (parmi les djinns et les humains), comme il y en a de moins justes. De même, il y a des groupes différents (chemins différents). Mais comme les djinns l’ont dit à bon escient, personne dans l’univers, ne peut «affaiblir la Puissance de Dieu sur la Terre», ni ne peut «y échapper par la fuite». La dominance demeure à Allah seul.
Par conséquent, dès que les héros des djinns se sont confrontés à cette vérité, ils ont proclamé en s’adressant aux leurs :
«Nous avons cru en la Direction, lorsque nous l’avons entendue»[9]. Enfin le récit nous transmet cette séquence qui résume tout : «Quiconque croit en son Seigneur ne craint plus ni dommage, ni affront»[10].
Lorsque le récit nous transcrit textuellement le discours tenu par un groupe de djinns à leur public, il nous vise nous les humains à travers la similitude de l’expérience vécue par la dynastie des êtres faits d’argile et celle des êtres ignés, quant au conflit entre la volupté et la raison, qui habite l’une et l’autre. Les héros des djinns ont expliqué qu’il est parmi eux des « Musulmans » et des « révoltés », des « justes » et de « moins justes », ainsi que des « chemins différents ». Cette même vérité marque les humains.
Mais les membres conscients des djinns (les héros) ont expliqué que la vérité est que la foi en Allah abolit la crainte de tout dommage et de tout affront, ce qui signifie, en fin de compte, que les hommes devraient être plus portés que les djinns à percevoir de telles vérités que le Ciel leur a prodiguées, en faisant descendre le Coran sur l’un d’entre eux, le Prophète Mohammad (P), et qui mieux, dans une langue qu’ils maîtrisent parfaitement.
Ainsi, ce récit divertissant qui nous a transmis l’expérience des djinns représente un modèle de divers procédés littéraires par lesquels le Coran cherche à nous conduire à rectifier notre conduite et à comprendre la Vérité de notre devoir d’adoration ou de soumission totale à Allah et à Ses Ordres.