Abstract
Rappelons-nous que Mohammed (BSDL) fรปt unย ILLETTRร.
ยซย Par sa forme, aussi bien que par son fond, elle donne une entiรจre satisfaction ร qui entend son langage. Le Coran, son vรฉhicule, fut et demeure le type par excellence de la lettre arabe. La beautรฉ de son style est universellement admirรฉe. A considรฉrer abstraitement les qualitรฉs littรฉraires qu’il rรฉunit, on peut mรชme dire qu’il reprรฉsente l’idรฉal de ce que devrait รชtre une littรฉrature en gรฉnรฉral. Disons tout de suite que la beautรฉ du langage coranique tient du sublime et du majestueux, et non de l’entraรฎnement sรฉducteur. Elle saisit le cลur plus qu’elle ne flatte l’oreille, elle suscite l’admiration non l’enchantement, elle frappe plus qu’elle n’excite, elle procure du plaisir en repos et non en mouvement.
ย A l’รขge d’or de l’รฉloquence arabe, oรน la langue atteignait l’apogรฉe de sa puretรฉ et de sa force, et oรน les titres d’honneur รฉtaient dรฉcernรฉs solennellement aux poรจtes et orateurs dans des concours annuels, il a suffit de l’apparition du verbe coranique pour que l’enthousiasme pour la poรฉsie et la prose fรปt balayรฉ, pour que les Sept Poรจmes dorรฉs et suspendus sur la porte d’Al-Kaaba fussent descendus et pour que toutes les oreilles se prรชtassent ร cette merveille de l’expression arabe…ย ยป
L’รฉloquence du Coran est incomparable
ย Elle ne rentre dans aucune des catรฉgories connues de l’รฉloquence arabe, Balagha, mot qui s’applique ร l’expression saisissante d’une idรฉe, dans un langage qui est en harmonie parfaite avec ce qu’on veut exprimer : plus l’expression est noble, รฉlรฉgante, et expressive, plus l’รฉloquence de l’รฉcrivain sera grande. La sublimitรฉ du style du Coran se prouve de plusieurs maniรจres :
1ยฐ, L’รฉloquence arabe consiste surtout dans les descriptions de la nature visible, de la femme, des animaux, d’un combat, d’un voyage ; il en est de mรชme de la poรฉsie et de l’รฉloquence des autres nations. En s’appliquant avec assiduitรฉ, on peut, si on a de l’intelligence et du goรปt, arriver ร un degrรฉ assez รฉlevรฉ dans ces genres de composition. Mais l’รฉloquence du Coran ne consiste pas dans la description de ces choses ; elle n’est donc pas empruntรฉe aux Arabes, et on ne devait y trouver aucun des tours considรฉrรฉs par les Arabes comme รฉlรฉgants.
2ยฐ, Dieu, que son nom soit glorifiรฉ, a toujours gardรฉ dans le Coran, la plus scrupuleuse exactitude ; or tout poรจte qui se tient ร la rรฉalitรฉ et n’accorde rien ร l’imagination, perd tout son mรฉrite. C’est ร cause de cela qu’on a dit quels meilleurs poรจtes รฉtaient ceux qui mentaient le plus. On sait que lorsque les deux poรจtes idolรขtres, Labid ben Rabi’ a et Hassan ben Thabet, se furent convertis ร l’Islam, leurs poรฉsies perdirent beaucoup de leur prix. Le Coran, au contraire, est รฉloquent sans rien accorder au mensonge ni ร l’imagination.
3ยฐ, Dans un poรจme (Qasida), on ne trouve gรฉnรฉralement que deux ou trois passages vraiment beaux et supรฉrieurs ร tout le reste. Dans le Coran, au contraire, malgrรฉ son รฉtendue, le tout est d’une beautรฉ, d’une รฉloquence qui dรฉpasse toutes les capacitรฉs humaines ; l’histoire de Joseph, par exemple, malgrรฉ sa longueur, est un morceau de la plus haute รฉloquence d’un bout ร l’autre.
4ยฐ, Les poรจtes et les orateurs ne rรฉussissent jamais ร traiter deux fois le mรชme sujet avec une รฉgale supรฉrioritรฉ ; dans le Coran, les rรฉcits relatifs aux prophรจtes, les descriptions de la rรฉsurrection, des attributs divins, les prรฉceptes, se rรฉpรจtent tout en offrant des beautรฉs toujours nouvelles et d’une รฉgale excellence.
5ยฐ, Le Coran se borne ร prescrire des lois, ร dรฉfendre certaines choses, ร recommander la pratique de la vertu, le renoncement au monde, et autres sujets qui se prรชtent peu ร l’รฉloquence ; il serait impossible ร un poรจte ou ร un รฉcrivain, d’exposer avec une รฉloquence supรฉrieure des rรจgles de jurisprudence, par exemple, ou des articles de foi, en y รฉpuisant toutes les ressources de la rhรฉtorique.
6ยฐ, Tout poรจte n’est vraiment supรฉrieur qu’en un seul genre. On a dit qu’Amru-ulqaรฏs est beau dans la joie, quand il parle des femmes ou des chevaux ; Nabigha exprime supรฉrieurement la terreur ; ElA’scha la demande et les louanges du vin ; Zoheir l’espรฉrance et le dรฉsir. Quant aux poรจtes persans, on a dit que Nizamy et Firdoussi รฉtaient supรฉrieurs dans les descriptions de batailles, Saady dans la poรฉsie รฉrotique, Anouary dans la Qassida. Le Coran atteint l’excellence dans tous les genres, soit qu’il promette, soit qu’il menace, soit qu’il exhorte. Je donnerai ici quelques exemples de son รฉloquence : –ย La promesseย : ยซย Aucune รขme ne sait (ne saurait dire) combien de joies leur (aux hommes vertueux) sont rรฉservรฉes pour prix de leurs actionsย ยป (XXXII, 17).ย La menaceย : ยซย Et tout homme orgueilleux et rebelle fut frustrรฉ dans son attente ; derriรจre lui est l’enfer il sera abreuvรฉ d’une eau fรฉtide qu’il prendra par gorgรฉes et ne pourra avaler qu’avec difficultรฉ ; la mort fondra sur lui de toutes parts, et il ne mourra pas ; un tourment terrible l’attendย ยป (XIV, 18-20).ย Le reproche et la rรฉprimande. ยซย Nous avons chรขtiรฉ chacun selon ses pรฉchรฉs ; contre tel nous envoyรขmes un vent lanรงant des pierres ; tel d’entre eux fut saisi soudain par un cri terrible de l’Ange Gabriel ; nous ordonnรขmes ร la terre d’engloutir les uns, et nous noyรขmes les autres. Ce n’est pas Dieu qui a รฉtรฉ injuste envers eux ; ce sont eux-mรชmes qui se sont attirรฉ le malheurย ยป (XXIX, 40).ย L’avertissementย : ยซย Que t’en semble ? Si, aprรจs les avoir laissรฉs jouir des biens de ce monde pendant de longues annรฉes, le supplice dont on les menaรงait les surprend ร la fin, ร quoi leur serviront leurs jouissancesย ยป (XXVII, 205-207).ย La mรฉtaphysiqueย : ยซย Dieu sait ce que chaque femelle porte dans son sein, et pourquoi elle porte plus ou moins longtemps ce qui est dans ses entrailles. Tout chez lui a sa mesure ; il connaรฎt ce qui est cachรฉ et ce qui est manifeste ; il est le Grand, le Trรจs-Hautย ยป (XIII, 8-9).
7ยฐ, Dans les transitions d’un sujet ร l’autre, ou dans l’exposition d’un sujet complexe, il est impossible de soutenir le discours dans les hautes sphรจres de l’รฉloquence ; dans le Coran, on passe d’un rรฉcit ร l’autre ; on prescrit, on raconte, on menace, on promet, on dรฉmontre, sans confusion, sans interruption dans la liaison des idรฉes, et avec une sublimitรฉ d’expression si soutenue que les plus grands maรฎtres de l’รฉloquence arabe en sont frappรฉs d’รฉtonnement.
8ยฐ, Le Coran renferme dans quelques mots, des propositions profondes et compliquรฉes : on en voit un exemple admirable dans le chapitre ยซย Sadย ยป (XXXIII, 9), oรน, en quelques versets, Dieu expose et les passions qui agitent les infidรจle et les chรขtiments qui les attendent, les crimes et les chรขtiments des peuples antรฉrieurs, l’histoire de David, de Salomon, de Job, d’Abraham, de Jacob, le tout avec une concision qui n’รดte rien ร la perfection des dรฉtails. Cette autre parole du Coran, ยซย Dans le talionย (I’ exรฉcution du meurtrier)ย vous avez la vieยซย , quelle est belle dans sa concision ! Ce parallรฉlisme, รฉtabli entre le talion et la vie, et ce tour heureux qui du talion de la mort fait rรฉsulter la vie, sont certainement admirables. Les Arabes avaient sur le mรชme sujet des sentences telles que celles-ci : ยซย L’exรฉcution de quelques-uns est la vie de tousย ยป. ยซย Tuez beaucoup afin qu’on tue peuย ยป. ยซย Rien ne prรฉvient le tuer autant que le tuerย ยป, c’est-ร -dire rien ne prรฉvient les meurtres autant que l’exรฉcution immรฉdiate des meurtriers. De toutes ces sentences, la plus belle est assurรฉment la derniรจre, et pourtant celle du Coran est encore plus belle :
1ยฐ parce qu’elle est plus concise ;
2ยฐ parce qu’elle est de beaucoup plus prรฉcise ;
3ยฐ parce qu’elle n’offre pas la rรฉpรฉtition du mรชme mot ;
4ยฐ parce qu’elle a un sens plus รฉtendu ;
5ยฐ parce qu’elle s’applique seulement aux exรฉcutions lรฉgales, ayant pour but le chรขtiment d’un coupable. De mรชme, ces paroles du Coran, ยซQuiconque obรฉit ร Dieu et ร son envoyรฉ, et craint Dieu et le rรฉvรจre, ceux-lร seront les gagnantsยป, c’est-ร -dire ceux qui obtiendront la vie รฉternelle, contiennent dans leur concision, toute la rรจgle de la vie. On raconte qu’Omar ben El-Khattab s’รฉtant endormi une fois dans le Temple, fut รฉveillรฉ par un homme qui prononรงait ร haute voix la profession de foi musulmane. C’รฉtait un prรฉlat grec, qui connaissait la langue arabe. ยซย J’ai entendu, dit-il au Calife,ย un prisonnier musulman rรฉciter un verset de votre livre, qui contient en lui-mรชme toutes les rรฉvรฉlations faites ร Jรฉsus Christ, pour acquรฉrir la perfection dans ce monde et le salut dans l’autre ; c’est le verset qui dit : ยซย Quiconque obรฉit ร Dieuยซย , &c. (comme ci-dessus). On raconte aussi qu’un mรฉdecin chrรฉtien fort habile demanda un jour ร Hussein ben Ali ben Elwaqqad, ยซย Pourquoi n’y a-t-il rien dans votre livre touchant la mรฉdecine ? Cependant la mรฉdecine des corps est tout aussi importante que la mรฉdecine de l’รขmeย ยป. ยซย Si fait, dit Hussein, Dieu a rรฉsumรฉ toute la science mรฉdicale dans un demi versetย ยป. ยซย Lequel ?ย ยป demanda le mรฉdecin. ยซย C’est le suivant : ยซย Mangez et buvezย (de ce dont Dieu vous a permis l’usage),ย mais sans excรจsย ยป (VII, 31). ยซย Votre Prophรจte, demanda le mรฉdecin, a-t-il aussi dit quelque chose touchant la mรฉdecine ?ย ยป ยซย Oui, rรฉpondit Hussein, notre Prophรจte a rรฉsumรฉ toute la mรฉdecine en quelques mots :ย L’estomac est le siรจge des maladies, la diรจte le premier de tous les traitements, et le corps doit รชtre traitรฉ selon ce ร quoi il est habituรฉยซย . ยซย Il faut avouer, dit le mรฉdecin, que votre livre et votre Prophรจte n’ont rien laissรฉ ร Galienย ยป.
9ยฐ, La faconde et la douceur sont deux qualitรฉs qui se rencontrent rarement rรฉunies dans les longues compositions des grands maรฎtres ; elles le sont partout dans le Coran, ce qui dรฉmontre l’excellence de sa composition.
10ยฐ, Le Coran contient toutes les beautรฉs de l’รฉloquence dans ses affirmations, dans ses comparaisons, dans ses mรฉtaphores, dans ses exordes, dans les transitions, dans les inversions. On n’y trouve point d’expressions faibles ou triviales, point de mots inusitรฉs, point d’irrรฉgularitรฉs de construction. J’ai dรฉmontrรฉ par dix raisons, que le Coran a atteint l’รฉloquence la plus parfaite, celle qu’il est impossible ร l’homme d’atteindre ; et ces beautรฉs, on les goรปte et on les apprรฉcie d’autant plus qu’on est mieux versรฉ dans la connaissance des finesses de la langue arabe et de ce qui fait le prix de son รฉloquence.
L’admirable ordonnance qui rรจgne partout dans le Coran
ย La puretรฉ et l’รฉlรฉgance de son langage, la beautรฉ de tous ses dรฉtails ont fait l’รฉtonnement des Arabes et des penseurs qui se sont appliquรฉs ร รฉtudier ce livre. Il y a dans toute composition des passages plus ou moins rรฉussis que les autres, sur lesquels gรฉnรฉralement on juge le tout. Ainsi, on blรขme Amru-Ulqaรฏs d’avoir commencรฉ un poรจme par ce vers cรฉlรจbre : ยซย Arrรชte-toi, que nous pleurions le souvenir d’un ami et d’une demeureย ยป, parce que, aprรจs avoir atteint dans le premier hรฉmistiche du vers le pathรฉtique le plus touchant, il ne se soutient pas dans le second au mรชme niveau. On trouve mauvais aussi que le cรฉlรจbre Abou-Najm ait commencรฉ ainsi un poรจme, qu’il rรฉcita devant Hicham ben ‘Abdul-Malek : ยซย Un arc jaune qui semble, lorsqu’il dรฉcroche sa flรจche, un il louche qui regarde l’horizonย ยป. Hicham รฉtait louche, et il ordonna que le poรจte soit menรฉ en prison. On blรขme aussi le commencement de la Qassida que Jรฉrir avait faite en l’honneur de ‘Abdul-Malek, et qui est ainsi conรงu : ยซย Es-tu revenu de ton ivresse, ou bien ton รขme est-elle encore offusquรฉe ?ย ยป Jรฉrir voulut lire sa Qassida ร ‘Abdul-Malek, mais dรจs qu’il eut prononcรฉ les mots du premier hรฉmistiche qu’on vient de lire, ยซย C’est ton รขme qui est offusquรฉe, fils de la …,ย ยป lui dit ‘Abdul-Malek, et coupa court ร la lecture. On trouve tout aussi inconvenant le premier distique de la Qassida de Bohtori en l’honneur de Youssef ben Mohammad : ยซย Malheur ร toi dans une nuit dont la fin est procheย ยป. ยซย Malheur et honte ร toiย ยป, rรฉpondit le Prince. Il est d’autres exemples que je pourrais citer, et qui montrent comment les poรจtes les plus illustres ont manquรฉ, quelquefois, aux rรจgles de l’art des vers.
ย Quant au Coran, les contemporains les plus รฉminents du Prophรจte ne purent y trouver, malgrรฉ leur profonde connaissance de la langue arabe et leur hostilitรฉ contre l’Islam, rien ร relever, rien ร blรขmer ; ils durent tous reconnaรฎtre qu’il ne ressemblait ร rien de ce qui l’avait prรฉcรฉdรฉ ; tantรดt ils disaient que le Prophรจte รฉtait sorcier, tantรดt qu’il reproduisait de vieilles traditions ; d’autres s’efforรงaient d’empรชcher leurs amis d’entendre rรฉciter le Coran, de crainte que le charme de son style ne les sรฉduiseย ยป.
Comment imaginer que les Arabes les plus รฉloquents, les plus hostiles ร l’Islam, les plus attachรฉs ร l’ancien culte, n’aient jamais tentรฉ de dรฉmasquer cette prรฉtendue imposture en produisant une composition d’une รฉloquence รฉgale ร celle du Coran, au lieu d’exposer leur vie et leurs biens pour combattre la nouvelle religionย ? Rien de plus facile assurรฉment, alors qu’on les provoquait par des versets comme ceux-ci : ย ยปย Prรฉsentez un chapitre pareil ร celui-ci, et appelez qui vous voudrez ร votre secours, ร l’exception de Dieu, si vous dรฎtes vrai… Si vous doutez de ce que Nous avons rรฉvรฉlรฉ ร notre serviteur, composez un chapitre pareil ร celui-ci, et appelez vos tรฉmoins, si vous dรฎtes vrai… Si vous ne le faites pas, et certainement vous ne le ferez jamais. (… Craignez le feu qu’alimenteront les hommes et les pierres… Quand mรชme les gรฉnies et les hommes se rรฉuniraient pour produire quelque chose de semblable ร ce Coran, ils ne le pourraient pas, non, mรชme s’ils s’assistaient les uns les autresย ยซย . S’ils croyaient que Mohammad s’รฉtait prรฉvalu de l’assistance de quelqu’un, pourquoi ne se sont-ils pas aussi fait aider ? Pourquoi ont-ils prรฉfรฉrรฉ la lutte ร la discussion, le combat ร une pacifique controverse ? C’est sans doute parce qu’ils รฉtaient convaincus de l’excellence du Coran, et qu’ils reconnaissaient ne pouvoir rien opposer qui put le contrebalancer. On dit que lorsque Walid, fils de Moghira, entendit le Prophรจte – que le salut soit sur lui ! – rรฉciter ces paroles du Coran : ย ยปย Dieu veut la justice et le bien, et la libรฉralitรฉ envers les parents ; il dรฉfend la turpitude et l’iniquitรฉ et l’injustice, il vous alertรขt, peut-รชtre rรฉflรฉchirez-vousย ย ยป (XVI, 90) ; il s’รฉcria : ยซย Par Dieu, que cela est doux ร entendre, que c’est รฉlรฉgant… Certes ce n’est pas un homme qui a รฉcrit celaย ยป. On raconte que Walid, ayant entendu lire le Coran en fut trรจs touchรฉ. Abou jahl, qui รฉtait son neveu, lui reprocha son attendrissement, sur quoi Walid rรฉpondit : ย ยปย Aucun de vous ne connaรฎt la poรฉsie arabe mieux que moi ; cependant je n’ai jamais rien vu de semblableย ยซย . On dit aussi qu’ร l’approche de l’รฉpoque du pรจlerinage, Walid assembla les Koraรฏchites et leur dit : ยซย Les dรฉputations des diffรฉrentes tribus vont arriver ; mettons-nous d’accord sur ce que nous dirons de cet homme (Mohammad) de maniรจre ร ne pas nous contredire les uns les autres.ย ย ยปย C’est un devinย ยป, dirent-ils ; ยซย Par Dieuย ยป, dit Walid, ยซย ce n’est pas un devin, il n’en a ni les marmottements inintelligibles, ni les sentences rimรฉesย ยป. ยซย C’est un fouย ยป, reprirent-ils. ยซย Non, il n’est pas fouย ยป, reprit Walid, ยซย il n’en a ni les dรฉlires, ni les excรจs furieuxย ยป. ยซย Nous dirons alors que c’est un poรจteย ยป. ยซย Il n’est pas poรจte ; nous connaissons la poรฉsie dans tous ses genresย ยป. ยซย C’est donc un sorcierย ยป, rรฉpondit l’assemblรฉe. ยซย Il n’a d’un sorcier, ni les incantations, ni les charmesย ยป, dit Walid. ยซย Que dirons-nous alors ?ย ยป, rรฉpliqua-t-onย ยป ยซย Rien de tout ce que nous dirons ne sera la vรฉritรฉ ; le plus convenable toutefois c’est de dire qu’il est sorcierย ยป. Il ajouta : ยซC’est une magie qui mettrait la dissension entre le pรจre et le fils, entre le mari et la femme, entre un homme et son amiยป.ย C’est au sujet de Walid que Dieu a rรฉvรฉlรฉ : ยซย Laisse-moi par celui qui t’a crรฉรฉย ยป, (LXXIV, 11 et suiv.) On raconte que ‘Otba vint une fois reprocher au Prophรจte – que le salut soit sur lui – les innovations qu’il introduisait dans le culte de ses pรจres. Le Prophรจte lui rรฉcita le chapitre qui commence : ย ยปย Ha mim. Voici le livreย ยซย . Quand il arriva ร ces mots,ย ยซย une foudre vous avertit, une foudre telle que celle qui tomba sur ‘Ad et Thamoudย ย ยป (XLI, 1-12), ‘Otba lui mit la main sur la bouche, et le supplia de se taire. Selon une autre version, le Prophรจte continua ร lire, tandis que ‘Otba l’รฉcoutait attentivement, les mains derriรจre le dos ; lorsqu’il fut arrivรฉ ร l’adoration, il se prosterna et ‘Otba se leva prรฉcipitamment, et retourna chez lui sans mot dire aux gens de sa tribu. Quand ils vinrent le voir, il s’excusa et leur dit : ย ยปย Par Dieu, il m’a tenu un langage que mes oreilles n’avaient jamais entendu avant, et je ne su que rรฉpondreย ยซย .
ย Abou ‘Obeida raconte qu’un Arabe, ayant entendu lire ces mots : ย ยปย Annonce ce qui a รฉtรฉ ordonnรฉ, et รฉloigne-toi des idolรขtresย ย ยป (XV, 94), se prosterna disant : ย ยปย Je me prosterne devant la puretรฉ de ce langageย ยซย . Un arabe idolรขtre ayant entendu un croyant rรฉciter ces paroles du Coran :ย ยซย Et quand ils eurent dรฉsespรฉrรฉ de lui, ils s’isolรจrent pour dรฉlibรฉrer sur leur salutย ย ยป (XII, 80), s’รฉcria ย ยปย J’avoue qu’il n’est pas possible ร l’homme de s’exprimer ainsiย ยซย .
ย Asma’i raconte qu’un jour il entendit une servante esclave de cinq ร six ans qui s’exprimait avec une dรฉlicatesse de langage exquise et lui dit : ยซย … O Dieu, que tu es รฉloquente !ย ยป Elle lui rรฉpondit : ยซย Est-ce que cela peut s’appeler รฉloquence aprรจs ces paroles du Trรจs-Haut : ย ยปย Et nous rรฉvรฉlรขmes ร la mรจre de Moรฏse, en lui disant : Allaite-le, et si tu crains pour lui, jette-le dans la mer, et ne crains plus, ni ne t’afflige, car nous te le restituerons un jour, et nous en ferons un de nos envoyรฉsย ย ยป (XXVIII, 6), oรน, dans un seul verset ont รฉtรฉ rรฉunisย deux ordres. deux dรฉfenses, l’exposition de deux faits et deux prophรฉtiesย ยซย .
Dans l’histoire de la conversion d’Abou-Dharr, on raconte que celui-ci parlant de son frรจre Anis dit : ยซย Par Dieu, je n’ai jamais entendu un poรจte plus รฉloquent que mon frรจre Anis ; il a remportรฉ la palme sur douze poรจtes des temps de l’ignorance, l’un des quels c’est moi ; Il se rendit ร la Mecque, et quand il revint je lui demandai ce qu’on y disait (de Mohammad). Il me rรฉponditย : ‘Les uns disent que c’est un poรจte, d’autres que c’est un devin, d’autres que c’est un magicien puis il ajouta : j’ai entendu le langage des devins ; rien de ce qu’il dit ne lui ressemble ; j’ai scandรฉ son langage sur les rรจgles de la poรฉsie, il ne s’y accorde point ; et aucun poรจte aprรจs moi ne saurait avoir le droit de dire que ce langage soit de la poรฉsie ; certes, il est vรฉridique dans ce qu’il dit, et eux sont des menteursย ยซย .
On dit dans les deux Sahihs (de Bukhari et de Muslim) que Jobair ben Mot’am dit : ยซย J’ai entendu une fois le Prophรจte rรฉciter le Coran ; quand il arriva ร ces mots, ‘ย Ont-ils รฉtรฉ crรฉรฉs sans rien, ou bien sont-ils crรฉateurs eux-mรชmes ? Ont-ils crรฉรฉ les c cieux et la terre ? Non, c’est plutรดt qu’ils ne croient pas. Les trรฉsors de ton Seigneur seraient-ils en leur puissance, ou bien sont-ils les dispensateurs suprรชmes ?ย ‘ (52, 35-37), je fus saisi d’une violente รฉmotion, mon cลur semblait vouloir s’envoler vers l’Islamismeย ยป. On dit aussi qu’Ibn ulmoqaffa’ entreprit de composer un ouvrage semblable au Coran. Passant un jour dans la rue, il entendit un enfant qui lisait ces mots : ย ยปย Et il fut dit : ร terre, absorbe tes eaux ; ร ciel, arrรชte ; et les eaux diminuรจrent, et l’arrรชt fut accompliย ย ยป (XL, 64) ; il retourna chez lui effaรงa tout ce qu’il avait fait disant : ย ยปย J’avoue que cela ne se peut imiter : ce n’est pas le langage d’un hommeย ยซย . Yahya ben Hakam Le- Ghazali, l’un des plus รฉloquents รฉcrivains de l’Andalousie, eut une fois, dit-on, la pensรฉe de composer quelque chose qui pรปt rivaliser avec le Coran. Il commenรงa ร lire le chapitre de l’Unitรฉ de Dieu (CXII), pour se pรฉnรฉtrer du style qu’il voulait imiter : ย ยปย Mais,ย dit-il,ย cette lecture m’inspira un sentiment de dรฉvotion et de crainte qui me fit aussitรดt repentirย ยซย .
ย Un Moitazรฉlite, Nedham, dit que l’รฉloquence extraordinaire du Coran est un miracle par le fait de ce qu’on appelle sarf (privation), c’est-ร -dire que les Arabes avant la mission du Prophรจte pouvaient s’exprimer dans un langage aussi pur et aussi รฉlรฉgant, mais qu’ils furent privรฉs de cette facultรฉ aprรจs la venue de Mohammed. Nedham reconnaรฎt donc ce qu’il y a de miraculeux dans le style du Coran, mais sous cette rรฉserve que les Arabes, avant la venue de Mohammad, auraient pu produire des ลuvres aussi parfaites. Cette hypothรจse ne peut รชtre acceptรฉe pour plusieurs raisons:
1ยฐ,ย Si les Arabes antรฉislamiques avaient eu une composition ร opposer au Coran, ils n’auraient pas manquรฉ de s’en prรฉvaloir.
2ยฐ,ย Les Arabes admiraient dans le Coran la puretรฉ, l’รฉlรฉgance et la force de l’expression, et non parce qu’il leur semblait impossible de lui rien opposer.
3ยฐ,ย Si Dieu avait voulu รดter aux Arabes la facultรฉ de rien produire de semblable au Coran, il n’eรปt pas รฉtรฉ nรฉcessaire de s’รฉlever ร l’รฉloquence la plus sublime.
4ยฐ,ย Cette hypothรจse est contraire aux paroles du Coran : ยซย Dis : si les gรฉnies et les hommes se rรฉunissaient pour produire quelque chose de semblable ร ce Coran, ils ne le pourraient pas ; non, mรชme s’ils s’aidaient les uns les autresย ยป (XVII, 90). Si les Arabes avaient pu composer un seul verset d’une รฉloquence รฉgale ร celle du Coran, on ne pourrait plus dire que si les hommes et les gรฉnies rรฉunissaient leurs efforts, il leur serait impossible de rien produire qui ressemblรขt ร ce livre…